Théâtre
[Festival d’Avignon] « The Fountainhead » : Ivo Van Hove architecte d’un grand spectacle

[Festival d’Avignon] « The Fountainhead » : Ivo Van Hove architecte d’un grand spectacle

16 July 2014 | PAR Christophe Candoni

Donné dans la Cour du lycée Saint-Joseph à Avignon, The Fountainhead mis en scène par Ivo van Hove à la tête de sa troupe du Toneelgroep Amsterdam représente quatre heures d’un théâtre passionnant servi par de très grands acteurs excellemment dirigés. Une adaptation magistrale du roman controversé d’Ayn Rand qui ose questionner sans concession le statut de l’artiste dans son époque et l’essence même de l’acte de créer.

[rating=5]

Dans son célèbre roman paru en 1943, l’écrivaine et philosophe, ayant fui sa Russie natale et changé de nom pour s’expatrier aux Etats-Unis, assume une idéologie dérangeante qui fait l’apologie de la liberté totale de l’individu au mépris de toute forme d’altruisme, devenant ainsi l’égérie de l’ultralibéralisme républicain. Pour autant, l’intérêt de l’adaptation à la scène de La Source vive (son titre français) est de donner à entendre une parole frondeuse, alternative et nécessaire sur la lutte des modernes et des classiques, sur la question de l’intégrité de l’artiste dans une société salie par la tiédeur artistique, la corruption politique et la soif de pouvoir, autant de maux incarnés dans la pièce par Wynand (excellent Hans Kesting), directeur de presse sans discernement et en mal de repentance.

Deux architectes travaillent dans le cabinet de Cameron, grand Maître désabusé en fin de parcours et s’opposent en tout point. Howard Roark (séduisant Ramsey Nasr) est brillant, idéaliste, d’une exigence inconditionnelle. Il préfère gâcher, détruire son génie plutôt que de renoncer à son intransigeance. Plus conciliant, moins talentueux, Peter Keating (pathétique Aus Greidanus Jr.) plaît à force de se soumettre aux lois du marché et aux attentes du public. Il devient une petite star et fait la une des magazines spécialisés qui le préfère au geste hautain de son concurrent. Sa descente aux enfers sera aussi fulgurante que son ascension.

Ivo Van Hove ne veut pas juger hâtivement les personnages et il a raison. Il les place à un niveau équivalent et donne toutes les pistes propices à une véritable réflexion qui permettra à la suite du spectacle de tirer les conclusions nécessaires. Pour autant il s’engage à donner à voir et à entendre l’idéal qui agite le héros de la pièce : le rêve d’un monde nouveau, tourné vers l’avenir et l’innovation plutôt que la tradition, celui d’un art, différent, visionnaire, radical, s’extirpant de l’orgie complaisante du classicisme rabougri et de la vulgarité ambiante. Cette vision sans compromis de la pratique artistique et de la création trouve une résonance toute particulière dans l’actuelle édition maussade du festival d’Avignon.

En ayant recours à la vidéo, la musique et la technique réalisées en direct et à vue, la mise en scène propose une forme grandiose qui cependant n’anéantit pas le jeu inouï des acteurs. Ivo van Hove met en scène des êtres de chair et de sang, d’une beauté fatale jusque dans l’indécence de leur fragilité exacerbée, d’une complexité torturée, dans la séduction comme la destruction. L’histoire d’amour torride entre Howard Roark et Dominique Francon, journaliste et femme scandaleuse divinement interprétée par Halina Reijn, est sur ce point édifiante. Des caméras dissimulées dans les hauteurs du superbe décor – un immense atelier d’architecte – captent en gros plan les plus fines expressions et l’intensité infaillible de ces acteurs hors-pair.  Rien ne passe pour superfétatoire ou gratuitement hype. Tout est au service du propos très dense et questionneur. Cette maîtrise sidérante fait de The Fountainhead le spectacle le plus ambitieux, le plus subversif et le plus accompli de ce festival d’Avignon.

 Photo © Christophe Raynaud De Lage

Voir le dossier Festival d’Avignon de la rédaction

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