Performance
Performing Arts : démontage en bonne et due forme

Performing Arts : démontage en bonne et due forme

18 September 2017 | PAR Marianne Fougere

Regarder les œuvres d’art depuis les sièges d’un musée ? Quelle bonne et drôle d’idée qui malheureusement ne passe pas l’épreuve de la performance.

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Comme tous les ans à la même époque, revoilà le Festival d’Automne, ouvert cette année par Noé Soulier avec une création qui a reçu le soutien de la Fondation d’entreprise Hermès dans le cadre de son programme New Settings. Jeune chorégraphe à l’ascension fulgurante, Soulier a été formé tour à tour au Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris, à l’Ecole Nationale de Ballet du Canada et à P.A.R.T.S. à Bruxelles. Danseur, chorégraphe mais aussi “philosophe”, il noue, depuis le solo Mouvement sur mouvement (2013) un dialogue étroit entre les gestes et les mots, entre la pratique et la théorie. Un aller-retour incessant pleinement officialisé avec la publication de son “écrit de danse” Actions, Mouvements, Gestes, petit manuel à l’attention du spectateur que l’on aurait apprécié avoir entre nos mains vendredi dernier…

Sur le papier, la proposition chorégraphique au cœur de Performing Arts est pourtant alléchante. Prenant à contre-pied la tendance actuelle qui consiste à faire jouer la danse dans les musées, Soulier renverse l’équation en déplaçant le musée sur la scène. Ici donc, musée = œuvres d’art = installation de ces œuvres: celles-ci – choisies parmi celles des collections du Centre Pompidou – ainsi que les actions qui entourent leur montage et leur démontage seront donc mises sur scène mais soumises aux paramètres du spectacle vivant. Simple, l’équation se voit ainsi complexifiée puisque Soulier choisit de porter notre attention sur ce qui d’habitude nous est inconnu à savoir le travail des “art handlers“, les régisseurs et autres monteurs d’exposition dont les gestes et les déplacements deviendraient, sous nos yeux ébaubis, le sujet d’une hypothétique œuvre d’art.

A propos de cette dernière, nous aurions tant aimé écrire :
– de notre plein gré, encore tremblants d’émotion et d’émerveillement
– que la proposition chorégraphique réussit avec brio le passage de l’idée à la performance
– qu’au travers de cette nouvelle pièce, Soulier poursuit, dans une direction tout aussi inattendue que stimulante pour le public, ses recherches sur la perception et l’interprétation du mouvement
– que la réception des œuvres – ici un aspirateur, là un lampadaire – se trouve transformée une fois perçu le soin porté à leur minutieux déballage
– que l’on ressort de cette provocation énervés et outrés MAIS des questions plein la tête
– que deux jours après la représentation, ces questions ont donné lieu à de nouvelles interrogations et naissance à quelques poussières d’étoile dans nos yeux
– que notre moment préféré a été celui où quatre monteurs ont déplié avec la plus grande minutie une longue liane verte : 8 petites mains faisant œuvre devant nous
– …

Nous écrirons seulement:
– obligés par le respect dont nous faisons preuve à l’égard du travail créatif de l’artiste et de celui quotidien de ceux qui rendent possibles nos expériences muséales
– que nous sommes demeurés, sinon insensibles, du moins dubitatifs sur ce qui se déployait sous nos yeux – et ce, alors même que nous étions conquis par l’Idée
– qu’au travers de cette nouvelle pièce, Soulier – et c’est bien dommage – n’interroge jamais les rapports de “pouvoirs” et de genre qui entourent le montage d’une exposition – pourquoi ne pas glisser une perceuse entre les mains de l’une des deux femmes présentes sur le plateau ?
– que la réception des œuvres est condamnée à échouer si les spectateurs – ceux-là même dont, au musée, la rencontre avec les œuvres est essentielle – sont, sinon ignorés, du moins retenus en captivité derrière un quatrième mur – celui-là même qui n’existe pas au musée…
– que nous sommes sortis au son d’un “What was that” émis par un autre spectateur et donc, comme lui, honteux de n’avoir pas saisi ce qui s’était passé durant une heure et demi
– que deux jours après la représentation nous nous trouvons toujours aussi démunis
– que notre moment préféré a bien été celui de la robe verte – ce que donnait l’espèce de tresse une fois celle-ci dépliée! – mais à cause des remarques mi-acerbes mi-désopilantes de notre voisine de derrière
– …

Nous retournerons bien entendu à Beaubourg – peut-être pas néanmoins pour y admirer Netz d’Aise Erkmen… Nous retournerons bien entendu voir les prochaines pièces de Noé Soulier parce que nous admirons son désir jamais assouvi d’interroger le geste que celui-ci soit fonctionnel ou esthétique et parce que nous apprécions son parti-pris de jouer avec notre zone de confort. Équation à deux inconnues, la performance chorégraphique contient en elle le double risque de se planter (pour l’artiste), d’être déçu (pour le spectateur). Mais sans le danger de la réception, la création artistique n’aurait aucun sens et nous autres, spectateurs, n’aurions aucun intérêt à nous rendre dans les salles. Cela tombe bien, le Festival d’Automne continue jusqu’au mois de janvier!

Visuel : affiche du spectacle

Infos pratiques

Les Cygnes
Théâtre du Palais Royal
centrepompidou

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