Fictions
Alice Zeniter, L’art de perdre : une réussite !

Alice Zeniter, L’art de perdre : une réussite !

17 August 2017 | PAR Marianne Fougere

Prix Renaudot des lycéens 2015 pour Juste avant l’oubli, Alice Zeniter mériterait avec ce roman d’entrer au programme des classes de terminale !

[rating=5]

Si vous détestez d’ordinaire – comme l’auteur de cette chronique ! – les sagas familiales, ce livre est fait pour vous. Si vous conservez de très mauvais souvenirs de vos cours d’histoire, L’art de perdre est pile poil ce qu’il vous faut. Si vous croyez que la liberté d’être soi est la plus grosse foutaise qu’on ait jamais inventée, suivez le guide. Et si rien de tout cela ne vous concerne, ouvrez le dernier roman d’Alice Zeniter ne serait-ce que pour lire sa somptueuse première page qui forcément vous rappellera tous ces matins  – de gueule de bois ou pas – où l’on se dit que l’on ne va pas y arriver, où l’on « touche du doigt l’extrême difficulté que représente être vivant et que la volonté réussit d’ordinaire à masquer ».

Être vivant est d’autant plus difficile quand l’histoire s’en mêle, celle avec un grand H et celle avec un petit h. Et tout se complique encore davantage quand l’histoire, la grande et la petite, se noue entre deux territoires étroitement liés mais pourtant terriblement déchirés. On comprend dès lors pourquoi ces matins – de gueule de bois surtout – sont mâtinés de tant de détresse pour Naïma, jeune galeriste qui n’aspire qu’à vivre, rire et aimer mais que tout renvoie inexorablement à ses origines algériennes. Naïma fait partie de ces filles qui ont oublié d’où elles viennent comme se plaît à le rappeler l’oncle Mohamed. Oubliés les champs d’olivier qui ont fait la fortune et le malheur de son grand-père ; oubliées les raisons contingentes qui ont fait de ce dernier un « harki » ; oubliée l’Algérie de l’enfance paternelle ; oubliée la langue que parle toujours pourtant sa grand-mère. Une exposition consacrée au peintre  Lalla se présente comme l’occasion de réparer cet Oubli avec un grand O, de fouler les pans escarpés de ces montagnes kabyles quittées à la hâte sous la menace. Mais comment faire resurgir un pays du silence ? Comment faire resurgir et coexister des mémoires en conflit ?

Telle une chasseuse de perles, Zeniter tente de remonter à la surface ces fragments de vie enfouis.  Des années de plomb à la fuite précipitée, du débarquement en France à l’installation dans le camp de Jouques, d’un logement HLM à un autre, son histoire nous ballote comme la grande l’a fait avec les générations successives de cette  famille prisonnière d’un passé tenace. Dans un style vif et délié, c’est avec beaucoup d’humilité que Zeniter nous livre une belle leçon d’histoire mais aussi de courage. Courage d’un grand-père resté fidèle à ses idéaux mais trahi après coup par l’histoire ; courage d’un père qui s’en est remis au silence pour ne pas exploser ; courage d’une fille qui, au-delà des héritages et des injonctions intimes ou sociales, n’arrive nulle part mais continue d’être en mouvement, d’aller encore de l’avant. Un texte littéraire pour combler les trous laissés dans le tissu de l’histoire ; une lecture salvatrice quand on sait que les enseignants  doivent désormais se livrer à un arbitrage entre les mémoires, arbitrage très souvent favorable à la mémoire de la seconde guerre mondiale au détriment de celle de la guerre d’Algérie …

Alice Zeniter, L’Art de perdre, Paris, Flammarion, sortie le 17 août 2017, 507 p., 22 euros.

Visuel: couverture du livre

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