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« Libres figurations, années 80 », au Fonds Hélène et Édouard Leclerc de Landerneau

« Libres figurations, années 80 », au Fonds Hélène et Édouard Leclerc de Landerneau

14 December 2017 | PAR La Rédaction

La nouvelle exposition du Fonds Hélène et Édouard Leclerc a débuté à Landerneau le 10 décembre. Consacrée aux libres figurations des années 1980 (Figuration libre française, Nouveaux Fauves allemands, scène new-yorkaise, scène parisienne, artistes soviétiques…), l’exposition déroule un panorama chamarré et copieux de plus de 200 œuvres, principalement des peintures. S’en dégage une atmosphère tantôt allègre, tantôt inquiète, et une impression générale de foisonnement décomplexé de formes.

Quand arrive au Fonds Hélène et Édouard Leclerc, le premier espace donne le ton. De grands tableaux chamarrés, drôles, nantis de quelques sculptures, immergent dans une atmosphère allègre et paillarde, entre les frères Di Rosa et Robert Combas. Contrastant avec l’art de plus en plus dématérialisé, intellectuel et néoplatonicien de courants avant-gardistes des années 1960-70, celui des années 1980 – de ce versant-là, en tout cas – est au débordement et à la bigarrure, à la low culture. La très drôle et foutraque série de quatre tableaux de Hervé Di Rosa La plus belle histoire du monde tient de la BD, du sopa opera télévisé et du cinéma de série B. Au total, une œuvre d’une drôlerie un peu bas du plafond en effet à mille lieues des complexités wittgensteinienne de Joseph Kosuth ou d’Art & Language.

Comme pour une majorité de labels, groupements ou mouvements, les artistes français de la Figuration libre, ont autant en commun qu’ils ont de différences. C’est Ben qui, en futé galeriste, avait senti le vent tourner, à Berlin, à la fin des années 1970. Dans l’entretien avec Michel-Édouard Leclerc et la commissaire de l’exposition Pascale Le Thorel, il se souvient comment l’affaire a débuté : « J’étais à Berlin en 1979. à Berlin, je m’ennuie, et il n’y a que des artistes conceptuels. Les conceptuels font une ligne droite et… c’est tout ! Et moi, j’aime aller danser. Donc je vais danser avec des jeunes qui peignent, dans une boîte de nuit qui s’appelle La Jungle. Et là, je découvre Salomé, Middendorf, Castelli… Et je me dis : “c’est extraordinaire, c’est un groupe et ils ne font pas que du conceptuel !” » Revenu en France, il fait la connaissance de Robert Combas, puis de Hervé Di Rosa, François Boisrond, Rémi Blanchard. « J’ai dit : “C’est de la figuration, on va vous appeler ‘nouvelle figuration’.” Ils disent : “Non, ‘nouvelle figuration’, ça existe déjà.” Je dis : “Oui, bien sûr, il y a Rancillac, il y a toute cette bande-là, la nouvelle figuration.” Eux, on les connaissait bien, et je les avais carrément mis dans le tiroir des finis ; c’est fini, Duchamp les a tués. Mais par contre, les Combas, les Di Rosa n’avaient pas été tués par Duchamp, ils étaient sortis de Duchamp, avec la liberté duchampienne. Et je rencontre à Nice quelqu’un de très sympathique, Marc Sanchez, il y a eu un échange. Je lui ai dit : “Le groupe, c’est Blanchard, Boisrond, Combas, Di Rosa, et ça, c’est la figuration libre.” »

Et voilà, coordonnée par Ben, un groupe de jeunes artistes français au diapason de l’époque, de son joyeux brouillamini de culture de masse et de contre-culture, premier jaillissement de ce que Hervé Di Rosa nommerait plus tard l’art modeste : un bric-à-brac de BD, de pop, de graffiti, une joie spontanée entre potache aux ras des pâquerettes et paillardise rabelaisienne, et qui déborde et déborde en un horror vacui de tons criard et de figures chamarrées. Quiconque a connu les années 1980 retrouvera sûrement dans cet art l’esprit hédoniste de ces années-là.

À la clé, de vrais chefs-d’œuvre, en premier lieu Dirousousleau, d’Hervé Di Rosa, fantaisie bédéisante où le tiers supérieur montre quatre personnages dans une barque, sur une mer aux couleurs de feu, surplombés par un ciel étoilé et sur fond de montagnes ; et le tiers inférieur exhibe une scène marine aux tons vers et bleus aux animaux vaguement cousins des Snorkies ou de Bob l’Éponge.

Fou et même violent, l’univers de Robert Combas est résumé en quelques toiles assez diverses, dont se détache particulièrement Bagarre de foire, Jonas Paboeuf cherche la merde et le dégoûtant Bacchanale avec Gros Bacchus. Les drolatiques sculptures de Richard « Buddy » Di Rosa s’insèrent là à merveille, tout comme deux peintures de Ben marquant en fort contraste avec le graphisme épuré de François Boisrond ou de Rémi Blanchard, quant à lui d’une poétique et enfantine candeur. La section française s’achève avec de très belles œuvres – gravures et peintures – de Philippe Hortala, d’une inspiration plus expressionniste, dont un Intérieur à l’angle singulier et aux troublantes déformations spatiales, toile étrange qui rappelle l’esprit Neue Sachlichkeit plutôt qu’une quelconque familiarité avec ses turbulents voisins.

La section étasunienne qui s’ensuit expose quelques Jean-Michel Basquiat, Keith Haring (deux Elvis, une Marilyn, au dessin simplifié), œuvres mineures des New-yorkais auxquelles on ne s’attarde pas (quoique le chromatisme de Florentine Red – tons bleus sombres – et de Spermatozoon – aux tons rouges et orangés – aient quelque chose de captivant), contrairement aux poétiques figures de Samantha McEwen, deux humaines et deux animales (zèbre et gazelle) silhouettes s’arrachant à un espace abstrait, quatre toiles parmi les plus saisissantes et poétiques de l’exposition. Toiles, en fait, peu en accord avec les sensibilités esthétiques exprimées par ailleurs, souvent plus tapageuses – mais Samantha McEwen fut une figure du New York des années 1980, ainsi que la compagne de Rémi Blanchard. Quelques photos de Tseng Kwong Chi restituent l’esprit de l’époque.

Plusieurs toiles de Kenny Scharf ou bien, ailleurs, de Crash, Futura 2000 ou Speedy Graphito, non moins que la présence d’œuvres de Basquiat et Haring, rappellent l’émergence – ou la reconnaissance – du graffiti.

L’espace germanique des Neue Wilden (« Nouveaux Fauves ») s’écarte de l’hédonisme des précédents espaces, pour un néo-expressionnisme primitiviste criard, à l’esprit plus angoissé et inquiet. Quelques grands formats (dont l’immense Room full of mirrors de Luciano Castelli et Rainer Fetting, 5 mètres sur 10 !), peu d’œuvres majeures, mais quelques très belles toiles : l’étonnante Holy Family crossing the highway, de Milan Kunc, transposition du motif ancien de la Fuite en Égypte au monde industriel.

L’exposition présente offre un aperçu aussi de la création soviétique, clandestine, dont les gravures narratives du quotidien soviétique par Vassili Goloubiev, les peintures et dessins criards d’Oleg Koutelknikov d’un esprit formel qui rappelle un peu Basquiat mais dont l’univers semble particulièrement cruel (en particulier la série de dessins au feutre SIDA). Le panorama donne une idée d’un effort pour reprendre les choses où le jdanovisme les avait interrompues cinquante ans plus tôt, tout en étant pleinement ancré dans les années 1980, le punk, le graff. Le Chien rouge d’Inal Savchenkov, contraste de tranquillité dans un voisinage tapageur.

La fin du parcours revient à des artistes français, à un univers de graffiti, de rock et de télévision, avec le collectif des Frères Ripoulin, à la joie ludique et gratuite qui, expique l’une des intégrantes, Nina Childress, « voulait casser l’image du peintre intellectuel à écharpe. Rendre la peinture sexy. »

Un des mérites de l’exposition, dans sa section Novos Selvages, est de présenter quelques artistes d’autres horizons : le Brésilien Roberto Cabot, le Chinois Rio Xiao-Fan et le Tunisien Abderrazak Sahli.

Au total, avec ses plus de 200 œuvres, l’exposition parvient à rendre l’effet de bouillonnement créatif, de grande allégresse adulescente – surtout des pays capitalistes – de ces années 1980 empreintes de cette légèreté d’avant le Sida, où les artistes contemporains de la Transavaguardia n’auraient pas déparé.

La qualité des oeuvres est assez inégale, des pièces importantes voisinant avec d’autres de moindre qualité : l’effet d’ensemble prime peut-être sur le détail. N’en demeure pas moins que, pour cette treizième exposition, le Fonds Hélène et Édouard Leclerc montre une fois de plus sa capacité à rassembler des œuvres significatives et construire un programme exigeant et de niveau national, tout en étant accessible au grand public. Ce qui est toujours une gageure.

« Libres figurations, années 80 », au Fonds Hélène et Édouard Leclerc de Landerneau

Mikaël Faujour.

visuels : Hervé Di Rosa, L’Attaque de la rue du malheur, 1984_Collection de l’artiste © ADAGP, Paris 2017. Robert Combas, VAUDOU, VOUDOU, 1981_Collection Bischofberger Männedorf  © ADAGP, Paris 2017

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