
“L’animal Imaginaire” de Valère Novarina, un chef d’oeuvre de beauté et d’intelligence à la Colline
Valère Novarina reprend son travail de prédilection et besogne une fois de plus sa pensée sur le langage en ce qu’il dit autant qu’il fait de nos vies. Dans l’Animal Imaginaire ses comédiens brûlent les mots jusqu’à l’incandescence pour dépoussiérer la parole. Restent les corps comme des déchets… et l’humour.
Après la création de L’Homme hors de lui en septembre 2017, Valère Novarina et Wajdi Mouawad ont poursuivi le fil d’une conversation où la question de l’écriture était abordée en sous-entendus, comme effleurée à travers des considérations sur le temps, l’espace et cette perpétuelle entrée de l’acteur sur le plateau qui vient porter, apporter, transporter, délivrer presque à la manière d’un livreur qui, après avoir garé son véhicule, livre sa marchandise : la parole.
Une peinture imposante et belle signée Valère Novarina est posée telle un monolithe sur le grand plateau vide de la grande salle de la Colline. Les personnages surgiront à tour de rôle de l’intérieur de ce totem. Le monolithe multicolore devient le lieu de l’origine du monde, celui de la coupure entre le présent et l’histoire, entre le silence et la parole dite. Il est dieu et son absence. Des panneaux peints eux aussi par Novarina viendront construire et déconstruire le décor tout au long du spectacle pour animer une scénographie des avatars de ce totem.
Le spectacle commence par une adresse au public : une femme est assise à son bureau, elle veut écrire, mais écrire quoi demande-t-elle? De sa plume va surgir une écriture automatique faite d’associations libres de métaphores, de métonymies, d’images, de vitupérations, de sermons et de sérénades répétitives de toutes sortes. Un texte qui pourchassera durant presque trois heures l’épuisement du sens de la parole à coup de mauvaise foi, de witz, de répétitions et d’énumérations. Cette écriture automatique n’est que le prétexte à un travail minutieux sur la parole et sur la chair, l’une percutant l’autre tout en l’étayant. Nous sommes dans un théâtre anti- beckettien; Là où Beckett traque l’univoque, Novarina construit un théâtre de la polysémie, absurde et surréaliste. Le geste devient spectaculaire, puisque l’homme est un animal qui parle et qui s’imagine, sans récréation.
Les tableaux se succèdent pour la joie du public. Le geste est généreux. La salle applaudit les tableaux comme à l’Opéra ou au café théâtre. Edouard Baptiste, Julie Kpéré, Agnès Sourdillon, Nicolas Struve, René Turquois, Bedfod Valès, Valérie Vinci sont épatants. Mathias Lévy au violon viendra retenir le temps dans un pur moment de grâce tandis qu’on se souviendra longtemps de la performance de Manuel Le Lièvre et de Dominique Parent qui défendent chacun à leur tour des textes et des caractères hilarants autant qu’édifiants.
La pièce est à voir et revoir. À lire et à déclamer chez soi. Elle est un mûr chef d’oeuvre.
L’animal imaginaire
texte, mise en scène et peintures Valère Novarina
avec Edouard Baptiste, Julie Kpéré, Manuel Le Lièvre, Dominique Parent, Agnès Sourdillon, Nicolas Struve, René Turquois, Bedfod Valès, Valérie Vinci et Christian Paccoud – accordéon – Mathias Lévy – violon
La Colline — théâtre national
15 Rue Malte-Brun Paris 20e
du 20 septembre au 13 octobre 2019 au Grand Théâtre
du mercredi au samedi à 20h30, le mardi à 19h30 et le dimanche à 15h30
durée estimée 2h45
participation d’un chœur d’amateurs le vendredi 20 septembre puis chaque samedi et dimanche, excepté le dimanche 22 septembre.
Crédit Photos© Pascal Victor