Théâtre
« You are my destiny » : un échec d’Angélica Liddell, écrasée sous le poids d’un destin monolithique

« You are my destiny » : un échec d’Angélica Liddell, écrasée sous le poids d’un destin monolithique

09 December 2014 | PAR Geoffrey Nabavian

Dans cette nouvelle pièce présentée à Paris, la grande auteur-metteuse en scène-comédienne-performeuse espagnole fait toujours montre d’un talent éclatant. Dans des scènes où elle est trop seule. S’inspirant de l’histoire de Lucrèce – épisode de l’Antiquité romaine – elle raconte au final comment elle fut « violée » symboliquement, en 2008 à Venise, par « l’amour de sa vie ». Et nous laisse sur le côté. Un spectacle de souffrance, en fin de compte : très décevant, de sa part.

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You are my destiny 2Le choc de la saison théâtrale parisienne 2011-12 eut un nom : La casa de la fuerza. 4h20 mêlant texte cru et lyrique, scènes gestuelles, danse, chant, musique divinement jouée et chantée par Pau de Nut, et performance allant jusqu’au sang. En voulant parler des femmes et des violences qui leur étaient faites, l’artiste Angélica Liddell avait signé un grand spectacle de tristesse. Après cette oeuvre, on l’avait revue à de nombreuses reprises. Et pas toujours autant aimée. Ping Pang Qiu, par exemple, n’était pas un spectacle dénué de qualités, mais sacrifiait trop à un propos ouvertement politique. Avec You are my destiny, visible en ce moment à l’Odéon, le problème s’inverse : on n’y voit plus de propos clair.

Pourquoi partir de Lucrèce, femme de l’Antiquité romaine, violée, au VIème siècle av. J.-C., par Sextus Tarquin (fils du tout dernier roi de la Rome antique) ? Pour raconter un abandon. Si terrible qu’il s’apparenta, pour notre metteuse en scène, à un viol. Le rideau se lève, et trois chanteurs lyriques ukrainiens commencent à psalmodier un chant religieux. Requiem pour un amour pas mort. Si vivant qu’elle veut le porter sur la scène. Et montrer cette « reconnaissance d’instinct à instinct » (le mot est d’Antonin Artaud) à laquelle elle fut confrontée, en 2008, à Venise. Sans pouvoir y échapper.

Elle est donc là, Angélica Liddell. Incarnant tantôt son propre rôle, tantôt la mort (ou du moins quelque chose qui y ressemble). Confiant parfois à Lola Jiménez le soin de la dédoubler. D’abord, elle paraît nous conter comment le monde l’a abîmée. Puis la façon dont elle s’est sentie « violée » par le seul homme auquel elle s’accrochait. Puis les suites de ce mal. Qui la laissent seule en scène pendant de longs instants… Vers le début, son talent éblouit. Douze enfants frappent des tambours. Douze hommes adultes viennent les remplacer. Et se mettent à frapper frénétiquement, en rythme. Elle, au milieu d’eux, se contorsionne et crie. La scène dure bien dix minutes. Elle est intense. On reçoit en plein coeur cette souffrance causée par le monde. Plus loin, ça ne sera pas pareil : lorsqu’Angélica, seule, vide de la bière sur elle, et descend des bouteilles d’une traite, on ne ressent plus. On regarde. Et on est triste de la voir sous ce jour, qui n’est pas très artistique…

A deux-trois moments, elle nous surprend. Ainsi, lorsqu’elle écrase des grappes de raisin sur des mouchoirs blancs, éclairés par des carrés de lumière – pour montrer sa souillure – elle effectue ensuite une danse sensuelle, sur un son de cloche nu. Percutant. Mais qu’en retirer ? Une sensation de malaise. De mort qui rôde… Et une envie de se laver les mains. En 2012, sur cette même scène de l’Odéon, dans La casa de la fuerza, Angélica Liddell semblait faire la funambule sur un fil de rasoir. Se contorsionnant pour ne pas laisser couler son sang. On recevait ses larmes. Devant You are my destiny, on a l’impression de ne recevoir que son vomi. Pas très exaltant… C’est qu’on ne voit pas la rencontre. Tarquin est bien là, dans son costume noir (à moins qu’il ne s’agisse du « fossoyeur », mais l’un peut être l’autre…). Mais on s’attarde bien peu sur lui. Les énergies ne se percutent pas. Tout semble déjà s’être passé. Sous nos yeux, ce sont douze hommes qui souffrent – contraints de se mettre dans des positions insupportables – mais on ne comprend pas pourquoi…

Quant à la chorégraphie post-applaudissements dans laquelle se lance notre artiste, sur de la pop espagnole… Le sexe, puis les seins, nus, en évidence… Finissant par balancer sa culotte dans le public, avant de disparaître pour de bon… Impossible à comprendre. La casa… se clôturait sur de l’electro. Pour dire qu’après l’expression de la tristesse, la vie continuait. Que veut nous dire Angélica Liddell, à la fin de You are… ? Qu’elle est désormais une star incontestable du théâtre contemporain ? Ou qu’elle est une femme consciente de son pouvoir de séduction, qui, comme Lucrèce, « n’a pas besoin d’être vertueuse » ? Son moyen de l’exprimer serait très sommaire…


You Are My Destiny (Lo stupro di Lucrezia… par TheatreOdeon

You are my destiny (Lo stupro di Lucrezia), deuxième partie du Cycle des résurrections, un spectacle d’Angélica Liddell. Avec Angélica Liddell, Lola Jiménez (ou Claudia Faci), douze hommes, douze enfants, et la participation du choeur Free Voice (Ukraine). Lumières : Carlos Marquerie. Son : Antonio Navarro. Durée : 2h20.

Visuel : © Brigitte Enguérand

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