Une marionnette peut en cacher une autre: lancement du festival Scènes ouvertes à l’insolite
Du 7 au 15 octobre le Mouffetard – Théâtre de la marionnette et ses partenaires organisent la festival Scènes ouvertes à l’insolite, occasion rêvée pour découvrir des artistes encore peu connus mais méritant clairement de l’être. Pour la soirée d’ouverture, Vera Rozanova nous subjugue avec A travers la cerisaie, la Cie Singe Diesel nous enchante avec Le songe du conteur, et la Cie Les Maladroits emporte tous les suffrages avec Frères. Artistes et festival à suivre!
Le festival Scènes ouvertes à l’insolite en est à sa 11ème édition en ce début d’automne. Traditionnellement organisé par le Mouffetard – Théâtre des arts de la marionnette, co-organisé cette année par le Théâtre Aux Mains Nues, il a pour ambition de mettre en avant le travail de la nouvelle génération de marionnettistes. C’est donc un florilège de ce que la création fait de mieux qui est donnée à découvrir jusqu’au 15 octobre dans divers lieux de la capitale.
Force est d’avouer que les spectacles proposés lors de la soirée d’ouverture étaient plus qu’enthousiasmants.
Vera Rozanova, jeune artiste russe passée par l’ESNAM, relève un pari audacieux, celui d’adapter La Cerisaie de Tchekhov en théâtre d’objets et en 1h10. Pari fou, mais pari réussi: A travers la cerisaie arrive à transporter le spectateur sans le moindre relâchement, avec une mise en scène sobre et inventive, et une utilisation particulièrement inspirée des objets, dont les évolutions technologiques sont utilisées pour figurer le passage du temps. L’accent russe délicieux de l’interprète accompagne la narration et l’incarnation des personnages, et vient surtout insérer un témoignage autobiographique qui, pour être discret, n’en donne pas moins une dimension intime et touchante à cette histoire déjà maintes fois entendue. Pleine d’humour et de distance, de charme et d’enthousiasme également, la première de ce spectacle nous a convaincu, et a emporté l’adhésion de toute la salle. Une très belle découverte!
Juan Perez Escala offrait ensuite un interlude merveilleux avec Le songe du conteur, donné dans les locaux de la Bibliothèque Mohammed Arkoun. Une proposition foisonnante et généreuse, où l’artiste, argentin de naissance mais breton d’adoption, nous régale de 45 minutes d’histoires fantastiques, en compagnie des korrigans, teuz et autres poulpiquets qu’il sort du monceau de valises disposées sur le plateau. Le nombre de marionnettes produites, leur inventivité, leur animation pleine d’humour et bien typée, sont un régal. Là où un regret point, c’est quand le marionnettiste-conteur n’enchaîne finalement que de très petites historiettes, qui tiennent plus de l’anecdote, sans oser s’embarquer dans un récit plus conséquent… Malgré tout, l’humour, la tendresse, la beauté des éléments visuels rendent ce spectacle vraiment attachant.
Pour finir la soirée, la Cie Les Maladroits présentait Frères, théâtre d’objets biographique retraçant l’histoire de l’aïeul espagnol de deux frères. Le propos n’est pas léger: il est question de la guerre civile espagnole, de la résistance au franquisme, de l’internement en camps suite à l’exil en France du grand-père Angel, qui, seul sur une fratrie de quatre, arrivera finalement à survivre aux événements, après avoir participé à la Résistance en France. Trois histoires s’imbriquent avec intelligence: la grande Histoire, le destin individuel d’Angel et de sa famille, mais aussi et surtout le mythe d’Angel, tel qu’il fonde l’identité de ses descendants nés en France, son histoire qu’ils ressassent dans l’espoir de comprendre et de transmettre. Ce croisement du tragique et de l’intime est maîtrisé avec finesse, dans une écriture parfois un peu explicative mais qui fait la part belle à l’humour. Si on peut regretter que le jeu des deux interprètes manque parfois de sincérité, la mise en scène et bien pensée, et la figuration des protagonistes de la geste qui nous est contée, avec le nécessaire à café des grands-parents et beaucoup de sucre, est très convaincant. Le public n’a d’ailleurs pas été avare de ses applaudissements.
En fil rouge de cette soirée, donc, le voyage et le dépaysement, non seulement du fait des thèmes abordés, mais aussi du fait même de l’origine des artistes. On dit que ces derniers réussissent souvent à capter la tendance d’une époque; en tous cas cette soirée a constitué un beau rappel de la richesse du brassage culturel, de la nécessité d’accueillir la différence, ainsi que du fait que le monde est fait depuis toujours d’exodes qui peuvent connaître une fin d’autant plus heureuse qu’on évite d’ajouter l’hostilité de l’accueil à la tragédie du déplacement.
Le festival foisonne encore de magnifiques propositions tout au long de la semaine et jusqu’au 15 octobre.
A travers la cerisaie (Vera Rozanova – Collectif 23 h 50)
D’après La Cerisaie d’Anton Tchekhov, traduction de P. Pavis
Conception, mise en scène et interprétation : Vera Rozanova
Assistant à la mise en scène et création lumière : Lucas Prieux
Création costume : Nawelle Aïneche
Création sonore : Thomas Demay
Le songe du conteur(Compagnie Singe Diesel)
Texte de Juan Perez Escala
Mise en scène et interprétation : Juan Perez Escala
Frères (Compagnie Les Maladroits)
Texte de Benjamin Ducasse, Eric de Sarria, Valentin Pasgrimaud et Arno Wögerbauer
Idée originale : Valentin Pasgrimaud et Arno Wögerbauer
Conception et écriture collective : Benjamin Ducasse, Eric de Sarria, Valentin Pasgrimaud et Arno Wögerbauer
Mise en scène : Eric de Sarria
Assistant à la mise en scène : Benjamin Ducasse
Création sonore : Yann Antigny
Création lumières et régie : Jessica Hemme
Regard scénographique : Yolande Barakrok
Chargé de production : Isabelle Yamba
Visuels: (C) Jean Henry, Cie Singe Diesel, Damien Bossis