Avignon OFF, Trahisons de Harold Pinter mise en scène Christophe Gand au Buffon
Le prix Nobel de Littérature n’a pas fini d’inspirer le théâtre avec ce texte entre l’univers du vaudeville et celui de Beckett. Souvent Trahisons ce classique du théâtre contemporain n’est que l’occasion d’adaptations tièdes ou convenues. Le succés de l’adaptation de Christophe Gand se confirme au Buffon.
Deux anciens amants Jerry et Emma se retrouvent deux ans après leur séparation. Elle est la femme de Robert le plus vieil ami de Jerry dont elle se sépare aujourd’hui. De scènes en scènes nous allons cheminer à rebours du temps pour atteindre le jour de leur première rencontre, le jour où Jerry, l’ami de Robert, celui qui fut témoin à son mariage, déclare sa flamme à Emma. ET où Emma accepte. Tout a commencé ainsi , moment drapeau de ces trois vies et première balise. Le texte de Pinter traverse le temps en posant d’autres balises. A chaque fois sont dépliés les trahisons les mensonges les lâchetés et les faux semblants. A chaque fois les êtres sans jamais courber l’échine sont broyés par l’amour et son dépit, par le temps qui passe et sa cruauté.
Les trois acteurs sont justes et respectueux avec leur personnage et avec le texte. Il y a un vrai plaisir à voir jouer ce trio. Le biais de Christophe Gand abandonne la dimension érotique ou du moins s’en éloigne; il échappe à la seule tragique partie carrée et remet chaque personnage dans son égoïsme, dans sa demande d’amour et son quant-a soit, dans sa solitude. La tragédie est devant nous et à chaque étape un drapeau est planté avec douleur.
Gaêlle Billaut-Danno est une émouvante et vibrante amoureuse. Elle incarne cette femme volontaire, optimiste mais non dupe, toujours un peu déçue et toujours un peu rêveuse. Francois Feroleto réussit à faire vivre ce mari cocu, rigide et incassable, sensible mais sans sensiblerie, tout en retenue; la pièce de Pinter est un vaudeville sans Scènes de Ménages. Yannick Laurent soutient avec maîtrise le talent de ses partenaires et défend brillamment un personnage léger et attachant
Et puis il y a Vincent Arfa. Christophe Gand a décidé de trahir un peu le texte où classiquement le spectateur comprend en cours de représentation que les scènes sont montées à rebours. Ici un afficheur date chaque scène. Hors la grande qualité de l’interprétation ce motif de mise en scène signe définitivement une grande pièce, poignante, qu’il ne faut pas rater. A chaque changement de plateau, un petit génie du temps vient installer le décor et manipuler l’afficheur. Ce petit diable (Vincent Arfa) est souvent moqueur et la dimension beckettienne de la pièce apparaît. Le trio est attrapé par la tragédie première de chacun, au delà de la demande d’amour, de fortune ou de plaisir, au delà des égoïsmes et des quant à soit, au delà des quelques drapeaux que la vie plante et qui souvent la résument et la réduisent, le temps se replie sur chacun d’eux et sur leur solitude. Ils sont sur terre et c’est sans remède dirait Beckett.
Une très belle proposition pour les festivaliers 2019.
Auteur : Harold Pinter
Artistes : Gaelle Billaut-Danno, François Feroleto, Yannick Laurent, Vincent Arfa
Metteur en scène : Christophe Gand
Crédits Photos Alexandre Icovic
au BUFFON du 5 au 28 juillet relâche le 11, 18, 25 juillet
19h40
durée 1h20