
The Four seasons restaurant de Castellucci : quand l’apocalypse se fait apothéose
Présenté au dernier festival d’Avignon (Voir ICI), The Four seasons restaurant est repris à Paris au Théâtre de la Ville. Plus réussi sur le plan visuel que théâtral, le spectacle-performance ultrastylisé de Romeo Castellucci met le spectateur, à l’instar de l’Empédocle d’Hölderlin, face à l’aspiration du néant.
Une scène inaugurale d’automutilation fait un effet saisissant. Dix jeunes femmes vêtues de blouses de travail et sabots aux pieds paraissent l’une après l’autre sur scène et se coupent chacune la langue avec de grandes paires de ciseaux entre silence, soupirs et gémissements discrets de douleur. Une fois que chaque bout d’organe abandonné sur le sol blanc d’un espace indéfini (qui s’apparente à celui d’une salle de gymnastique désertée) a été avalé par un gros chien errant, les femmes jouent La mort d’Empédocle. Le geste d’inspiration picturale est beau mais trop formaliste. Le poème dramatique du grand poète romantique allemand est dit par les comédiennes d’une façon excessivement distanciée et dématérialisée qui ne convainc pas.
En revanche lorsque les parois blanches du décor s’élèvent pour laisser place à un trou noir béant, alors le spectacle devient stupéfiant : on assiste à une véritable explosion, un déchaînement cosmique. L’apocalypse se fait apothéose. Castellucci a cette façon inouie de mettre en branle nos sens. Il secoue l’œil, l’oreille, l’esprit en les mettant à l’épreuve du bruit et de la fureur. Au milieu du chaos, les dernières paroles d’Isolde mourante dans le sublime Liebestod wagnérien se font entendre de loin : « dans la respiration universelle, dans le souffle du monde, me noyer, sombrer, inconsciente, voilà le bonheur suprême » chante-t-elle. Les femmes aux corps dénudés, enivrées de la plénitude des profondeurs et en recueillement devant un visage féminin les yeux clos, forment une image apaisée de la finitude apocalyptique qui laisse béat. Rien du propos aussi dense que redoutablement opaque n’est élucidé. L’œuvre de Castellucci, tout comme celle de Rothko qui l’a inspirée et qui a donné son titre au spectacle, ne se livre pas comme cela. Elle laisse interrogatif mais complètement halluciné de force et de beauté.
Crédit photo : Christian Berthelot