
Nijinski par Clovis Fouin
La pièce commence par la folie. Clovis Fouin est le danseur russe prodige Vaslav Nijinski au moment où il est interné en Suisse, de 1920 à sa mort en 1950. Solide, costard blanc, yeux bleu lagon ourlés de noir, il incarne les cahiers de jeunesse de l’artiste. Porter la danse au théâtre, c’est le parti fou, en voie de réussite, de la compagnie de la jeunesse aimable.
Une étape de travail était présentée en entrée libre dans le si joli Salon Roger Blin du théâtre de l’Odéon. En pleine après-midi, lumière du jour, pas de place pour l’esbroufe. Puissant, le comédien déjà vu dans ces murs lors des Illusions Comiques en 2007 commence par une ritournelle obsessionnelle sur la bouffe pour peu à peu entrer comme on entre dans un mouvement, dans le déroulé des étapes de la vie de l’homme. Une volonté permanente apparaît, celle de sortir de la misère tout en la respectant. Il faut danser alors pour aider sa mère. « J’aime les pauvres » écrit-il.
«Lorsque l’on s’est élevé dans les airs, on n’a qu’une envie : Y rester.»
Il dansera alors. Il y a le début d’une carrière à l’Ecole Impériale du Ballet de Saint-Pétersbourg. La rencontre sous emprise avec Diaghilev et les premières chorégraphies choquantes : L’après-midi d’un faune de Debussy et L’oiseau de Feu de Stravinsky. Il est conscient que le spectacle ne peut se faire qu’en réaction : je sais ce qu’il faut pour impressionner le public affirme-t-il. Il y aura ensuite un mariage avec Romola Pulsky, ce qui rendra fou de jalousie Diaghilev qui le renverra des ballets russes. C’est à partir de cette trahison là qu’il décline, se refugiant en famille en Suisse où il glissera de façon irrépressible dans la démence.
Ce sont les mots d’un danseur qui n’a su vivre que par son art qui sont justement mis en scène ici par Lazare Herson-Macarel. L’acteur choisit la posture forte d’un homme prés à sombrer, vacillant sur ses jambes, ne tenant que par la présence d’appuis : Clovis Fouin s’accroche littéralement sur une table et une chaise. Le comédien s’y allonge offrant un visage inversé et forcement théâtral. Ce faisant, il évite l’écueil d’une parodie de danse qui serait un échec. La puissance de ce spectacle réside déjà dans l’insoutenable tragédie d’assister non pas à la déchéance mais à la photographie du point de non retour. Nijinki ne pourra plus jamais être Nijinski. A suivre.
Visuel : (c) Florence Fouin-Jonas