
Le Monte Plats de Harold Pinter au Lucernaire dans une mise en scène innovante de Etienne Launay
La pièce Monte–Plats de Harold Pinter inspire toujours. La chronique des deux minables porte flingue acquiert au Théâtre du Lucernaire par la mise en scène osée de Etienne Launay une nouvelle lecture.
La vie inutile de deux anti héros
Une musique de série B américaine des années 70 se fait entendre dans un décor intentionnellement sans âme ni beauté. Dans un sous-sol, deux tueurs à gage, Gus et Ben, attendent leur prochain contrat. Ben lit le journal tandis que Gus cherche à faire du thé. Le temps passe dans l’ennui et les conversations creuses. Soudain une enveloppe est glissée sous la porte et un monte-plats se met en branle. Les deux pieds nickelés tenteront de converser avec l’extérieur et d’honorer les commandes de mets reçues. Lentement le monte plats prendra le pouvoir sur eux. Lentement ils glisseront vers la folie. Pinter dépeint ici une société asservie qui obéit aux ordres aussi absurdes soient-ils. Sous l’écriture cynique de l’asservissement se cachent une vacuité et un profond désespoir tandis qu’émerge un humour noir souvent hilarant. Les comédiens avec talent parviennent à embrasser les deux faces du texte.
Une description de l’existence désenchantée mais sous EMDR
L’emdr est une technique d’hypnose qui consiste lors d’une séance de psychothérapie à assurer le retour des affects; la concentration de la personne est distraite lorsqu’il doit suivre du regard les mouvements erratiques et imprévisibles d’un objet présenté devant lui. Etienne Launay a divisé le plateau en deux pour une scénographie où la pièce est jouée alternativement et d’affilée à droite ou à gauche. A jardin il y a Gus n°1 et Ben n°1, à jardin Gus n°1 et Ben n°2. Le relais est passé d’un demi plateau à l’autre sans que nous puissions le prévoir. Cette distraction de notre attention, fruit d’une mise en scène unique et osée, touche son but. Par la magie de ce dispositif d’emdr théâtral, étayée par l’implication des comédiens, nous traversons le traumatisme sans y prendre garde.
Nous aurons vécu, expérience dramatique épatante, une heure d’une angoisse et d’une âpreté qui feront retour seulement après la fin de la représentation. Après le Trahisons de Christophe Gand avec son panneau dateur, le Lucernaire offre avec audace et bonheur un autre Harold Pinter.
Auteur : Harold Pinter, traduction Mitch Hooper, Anatole de Bodinat, Alexis Victor
Artistes : Benjamin Kühn, Simon Larvaron, Bob Levasseur, Mathias Minne
Metteur en scène : Étienne Launay
visuel : photo offcielle