Théâtre
Loin de Corpus Christi au Théâtre de la Ville, Lassalle plombe Pellet

Loin de Corpus Christi au Théâtre de la Ville, Lassalle plombe Pellet

24 September 2012 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Quand l’immense Jacques Lassalle met en scène, c’est toujours en évènement. Quand il choisit un texte du dramaturge le plus en vue du moment, Christophe Pellet, l’attente est forte. Quand le titre, Loin de Corpus Christi est énigmatique, cela devrait fusionner pour créer un spectacle de génie. Trop lente, trop plate, la pièce donnée au Théâtre de la Ville-Les Abbesses ne parvient pas à décoller malgré un script d’enfer. Silence, on tourne.

Gros plan. Pendant l’entrée du public, un autre public entre, celui d’une salle de cinéma dont nous sommes le prolongement. Face à nous un écran s’ouvre, on y verra bientôt Green Dolphin Street avec la grande Lana Turner et un inconnu qui crève l’écran, au visage transparent comme le verre, Richard Hart. Chargée de recherche à la cinémathèque, hagiographe de star, Anne Wittgenstein (Sophie Tellier) se lance dans l’enquête, aidée par son vieux prof adoré, Pierre Ramut. Elle veut savoir qui il était et surtout comprendre sa disparition. Nous voilà projetés dans des allers-retours : Hollywood 1947, Paris 2005.  Le Maccarthysme fait rage, dans les rangs de la MGM c’est la purge. Richard (Brice Hillairet) fraîchement arrivé de Corpus Christi, un “trou”, est la coqueluche. La directrice de casting, Norma Westmore  (Marianne Basler) ne s’y trompe pas. S’ensuit un face à face organisé avec 60 ans d’écart : d’un côté la chercheuse qui n’attire que la mort, de l’autre la sexy et virevoltante américaine. Pourtant leurs destins sont liés. Aucune ne peut en sortir digne. Richard est un espion. Toutes deux sombrent dans l’obsession d’un mythe, finissant décaties et pauvres. La seconde partie de la pièce nous amène en 1989, en novembre, le 5 puis le 11 entourant la date de la chute du mur. On retrouve Norma, éteinte amoureuse d’un autre espion, Moritz, réincarnation de Richard.

Le texte est formidable, Pellet nous tient en haleine, faisant résonner les époques les unes entre les autres d’une manière tout à fait romanesque, invitant l’amour et le contre espionnage, le FBI, la Stasi à la table.  Comme dans Conférence vu à Avignon, il a le sens de la formule et l’acidité des réflexions. La mise en scène séduit au commencement. L’idée d’une salle de cinéma entourée d’un décor en carton-pâte, digne du Walk of fame vaut le détour. Colonnades, volutes et rideaux précieux viennent en ajouter à foison. Le décor unique est astucieux mais difficilement praticable. Très vite, le rythme se perd.  Le ballet des rangs de fauteuils tournant n’apporte rien au propos. Le jeu des comédiens rame. Sophie Tellier joue dans l’excès, Brice Hillairet, un peu lisse, ne parvient pas à empoigner le plateau. Jacques Lassalle choisit une direction extrêmement figurative et une sur-théâtralité inadéquate. L’imaginaire n’y trouve jamais sa place, encore moins l’émotion. Aucune surprise n’intervient, chaque scène apparaît limpide, sans  nuance nécessaire à susciter du désir.

Et pourtant, le sujet est truculent et poignant, les idées magnifiques, voir Brecht jouer est formidable. La mise en scène cinématographique, qui fonctionne en flash-back en utilisant des voix off devrait exploser la scène. Il n’en est rien. Passé le charme rétro, on perd l’envie. La scène se déroule, extérieure à nous.  Jacques Lassalle restera l’artisan du Dom Juan, à la modernité encore actuelle 20 après. Ici, il se perd, donnant une image tremblante et caricaturale de la vieillesse, oubliant son beau sujet qu’est l’obsession. Dommage.

 

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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