Théâtre
« L’île des esclaves » de Marivaux au Studio-Théâtre : Incroyable Arlequin !

« L’île des esclaves » de Marivaux au Studio-Théâtre : Incroyable Arlequin !

17 March 2014 | PAR La Rédaction

Le plus grand succès de Marivaux, « L’île des esclaves », est joué au Studio-Théâtre de la Comédie Française. Le metteur en scène Benjamin Jungers revisite cette pièce classique et en présente une version franche et accessible. Mais sans le jeu d’Arlequin, elle frôlerait la déception.

[rating=3]

Sur la petite scène du Studio-Théâtre, le décor est sobre, et si la mer n’est pas représentée, le spectateur imagine volontiers l’atmosphère insulaire : des draps blancs représentant les voiles du navire, révèlent un remarquable jeu d’ombres et de lumière. L’histoire est la même, depuis près de 300 ans : rescapés d’un naufrage, le seigneur Iphicrate et son valet Arlequin échouent sur une île au large d’Athènes, bientôt rejoints par la comtesse Euphrosine et sa dame de compagnie, Cléanthis. Les quatre personnages sont accueillis par Trivelin, le gouverneur de « l’île des esclaves ». Ici, les rapports de force et les classes sociales sont inversés : il leur demande d’échanger leurs vêtements, leurs statuts, leurs noms, même. Les maîtres deviennent valets, et vice-versa, pour le plus grand malheur des premiers.

La pièce en un seul acte de Marivaux a beau ne durer qu’une heure, elle ne mérite pas l’expression « courte mais intense ». Dès le début, le spectateur peine à rentrer dans le jeu des acteurs, désorienté par leur langueur, presque passive. Ils ont beau occuper l’espace, la communication semble brisée : leurs silences sont excessifs, et ils manquent de répondant. Euphrosine -qui a notamment un texte plus court que les autres-, devrait émouvoir, mais ne fait que s’apitoyer sur elle-même. Trivelin, lui, donne l’impression de débiter son texte, piétinant le naturel. Quant à Iphicrate, il semble même hésiter dans son rôle à jouer : sa défense et sa rébellion ne sont pas assez éloquentes.

Seul le frénétique duo Arlequin-Cléanthis parvient à réconcilier avec la pièce. Sur les conseils de Trivelin, la jeune esclave, assoiffée de vengeance, prend un malin plaisir à tourmenter sa maîtresse, et l’on rit sincèrement du portrait qu’elle en dessine : à coups de minauderies et de mimiques exagérées, elle prend sa revanche, purement et simplement, et compense les anciens traitements subis par une imitation grotesque. Elle se mire et elle s’étonne, elle court et elle saute, se fondant corps et âme dans son personnage d’enfant espiègle. Et chaque valet traduit à sa façon sa bonne humeur retrouvée : Arlequin préfère pousser la chansonnette, irritant ainsi son ancien maître. Mais attention : ils jouent mais n’imitent point, et leur réflexion finale s’en ressent. L’incroyable Jérémy Lopez, qui incarne un valet truculent, est partout – et même sur le dos d’Iphicrate. Ses gestes traduisent parfaitement ses paroles cinglantes : tantôt bouffon, tantôt grand seigneur, il se délecte de son nouveau statut, parfait dans le rôle de l’opiniâtre donneur de leçons. Son air ironique atteste qu’il fait fi du passé, et qu’il oublie vite son ancienne condition. « Peut-être que je serai un brin insolent, à cause que je suis le maître » : tout laisse supposer que c’est bien lui, le véritable maître du jeu. Il passe du fou rire tyrannique aux hurlements colériques, maîtrisant parfaitement le revirement de situation. Finalement pétri de doute, rongé par le remord, il pardonne abondamment, tandis que tombe à genoux la jeune Cléanthis.

Il serait néanmoins sévère de réduire cette pièce au jeu des valets : Benjamin Jungers revisite ce classique en insistant sur son caractère moral -plus que son côté politique et pré- révolutionnaire-, et l’on prend vite conscience de l’évolution des personnages. Débarrassés de leurs vêtements, de leurs attributs et de tout ce qui fait leur statut social, habillés à l’identique, comme des prisonniers (veste bordeaux et pantalon beige), c’est aussi leur personnalité qui éclate au grand jour. Ainsi parviennent-ils à se découvrir, à aller au plus profond d’eux-mêmes, à se remettre en question, et c’est là toute la subtilité de la pièce. Mais la liberté de Benjamin Jungers est trop mince et l’on peine à sentir sa patte. À l’exception des prouesses d’Arlequin, la faible performance des acteurs nous laisse sur notre faim.

Mathilde DONDEYNE

Informations pratiques :

« L’île des esclaves » de Marivaux, mis en scène de Benjamin Jungers, jouée le mercredi, jeudi, vendredi, samedi et dimanche, à 18h30, jusqu’au 13 avril 2014, au Studio-Théâtre (Comédie française) : 99 rue de Rivoli, Galerie du Carrousel du Louvre, Paris 1er. Informations et réservations au : 0825101680 ou : [email protected].

Visuel © Cosimo Mirco Magliocca

Infos pratiques

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Christophe Candoni
Christophe est né le 10 mai 1986. Lors de ses études de lettres modernes pendant cinq ans à l’Université d’Amiens, il a validé deux mémoires sur le théâtre de Bernard-Marie Koltès et de Paul Claudel. Actuellement, Christophe Candoni s'apprête à présenter un nouveau master dans les études théâtrales à la Sorbonne Nouvelle (Paris III). Spectateur enthousiaste, curieux et critique, il s’intéresse particulièrement à la mise en scène contemporaine européenne (Warlikowski, Ostermeier…), au théâtre classique et contemporain, au jeu de l’acteur. Il a fait de la musique (pratique le violon) et du théâtre amateur. Ses goûts le portent vers la littérature, l’opéra, et l’Italie.

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