
« Le fils », ou la descente aux enfers d’une mère
Emmanuelle Hiron interprète sobrement l’émouvant texte de Marine Bachelot Nguyen, jusqu’au 14 avril au Théâtre du Rond-Point.
Lumière. Une femme et un clavecin sur une scène vide. De puissants spots éclairent son visage, laissé au naturel, et sa silhouette simplement vêtue d’un jean et d’un chemisier pâle. Sa voix résonne dans la salle, puissante et évocatrice. De sa bouche, pêle-mêle, sortent les mots de son personnage et ceux de la narratrice. Car il s’agit là d’un monologue au service d’une histoire si tragique et pourtant si banale. Une jeune étudiante rencontre un étudiant de son âge sur les bancs de la fac, tous deux se marient et ouvrent une pharmacie dans un petit village de province. Deux enfants ne tardent pas à naître, avec deux ans d’écart, l’un tête brûlée et l’autre calme et docile. Déjà, au moment de l’accouchement, l’aîné, Anthony, se révèle sans douleur, tandis que le cadet, Cyril, nécessite une douloureuse césarienne que la mère vit comme un acte contre-nature. Le premier d’une longue série…
La trame de cette pièce de théâtre mise en scène d’après une idée originale de David Gauchard est la suivante : comment une personne, aimante et attentionnée, peut-elle se radicaliser jusqu’à pousser son fils à commettre l’irréparable ?
Écrite en réaction aux manifestations contre le Mariage pour tous au début des années 2010, ce texte de Marine Bachelot Nguyen permet de ressentir à la fois notre proximité et notre décalage avec le personnage de la mère. Ce n’est pas une femme que vous détesterez, comme ce pourrait être le cas avec une vision manichéenne. Elle n’est pas haïssable, juste entourée d’aficionados de la religion monothéiste à tendance radicale, à qui elle veut tant plaire que les copier lui semble la meilleure solution. Si l’épouse du chirurgien vote extrême droite, avec sa luxueuse maison et son parc immense, c’est qu’il doit y avoir une bonne raison, non ? Et puis, ce n’est pas si terrible, après tout. D’autant plus que cette dernière lui ouvre les portes de ses réunions médicales, et que dans sa bourgade où il y a si peu de loisirs, ce n’est pas une opportunité de sortir sur laquelle elle peut cracher. Même si ces dernières consistent essentiellement à refuser le mariage gay et le droit des couples mono-parentaux à l’adoption, ou encore le choix de l’avortement aux femmes. Une cause pour laquelle on peut facilement lutter, lorsque l’on oeuvre au comptoir d’une pharmacie et que l’on peut prétendre être en pénurie de pilules du lendemain.
Ce magnifique texte, oscillant entre désespoir, amour maternel, quête de sens, interjections et sobriété, s’accommode parfaitement au décor épuré au sein duquel il est déclamé. Seul bémol, les violents flashs des spots lumineux qui viennent ouvrir chaque nouveau « chapitre » de l’histoire et imitent une ampoule grillant alors qu’elle est au paroxysme de son intensité. L’effet est certes intéressant, mais il procure au coeur du spectateur sensible un désagréable soubresaut.
Le fils, au Théâtre du Rond-Point jusqu’au 14 avril
Visuel : ©Giovanni Cittadini Cesi