
La polysémie du Roi Lear restituée par l’immense Jacques Weber
Dans le cadre de la programmation hors les murs du Théâtre de la Ville, le metteur en scène Georges Lavaudant s’attaque pour la troisième fois au chef-d’œuvre de Shakespeare avec un immense acteur, Jacques Weber. Le résultat est splendide, inquiétant et édifiant.
Le Roi Lear est une pièce analogique d’un chaos que frôle sans cesse l’humanité en marche. Un père maudit sa fille préférée. Un autre père veut la mort d’un fils qu’il devrait aimer tandis que son autre fils le livre à ses ennemis. Cet échantillon d’humanité sombre côtoie la folie et l’enfer. Lear sera dépossédé de tout, de son paradis et de sa raison. Au sein d’un monde de l’ambiguïté, des faux-semblants, des intrigues de cours et des simagrées, une fille, Cordélia, tentera en vain de rectifier le chaos des mensonges et des apparences.
Un roi Lear pluriel
Jacques Weber est le roi Lear. Il en restitue le panache, la tendresse aussi. Le comédien en a l’allure. Celui qui a tant interprété de grands rôles, de Cyrano à Dom Juan, offre son talent au personnage. Il en est l’allure. Acteur physique et littéraire tout à la fois, il traverse le long voyage des convenances glacées vers la folie brulante, de l’adulte autoritaire vers l’enfant meurtri. François Marthouret, dans le rôle de Gloucester, soutient avec brio l’édifice romanesque. Les autres comédiens affrontent les périples avec talent. Et dans le rôle de l’espiègle, qui pourtant sait ce qu’il faut penser de la folie des hommes, Manuel Le Lièvre, est prodigieux et inoubliable.
La scénographie est dépouillée, les tableaux étant trop nombreux. Georges Lavaudant a choisi de s’en remettre totalement à l’interprétation de Jacques Weber. L’adaptation proposée, raccourcie à 3H30, se construit autour de l’immense comédien qui incarne avec un texte fleuve un Roi Lear pluriel. L’expérience spectateur sera celle d’une congruence. Weber est le roi Lear. Le roi Lear est Weber.
Un véritable artiste est dépassé par son œuvre. Le comédien, par un investissement surnaturel, donne tout au personnage qu’il défend. Son interprétation dépasse les intentions, son art plein crée le débordement de signifiants. Chacun trouvera en ce Roi Lear quelque chose à quoi s’identifier ou à détester et toujours une chose à comprendre. Chacun fort de sa noirceur. Certains y verront le père Goriot, d’autre Œdipe de Sophocle, d’autres encore le chimiste de Breaking Bad ou le fou Rigoletto. Weber sera beckettien, shakespearien, pirandellien, certains pousseront même leur péché jusqu’à halluciner Brecht. La force et le fameux de ce Roi Lear réside dans cette polysémie. Jacques Weber nous fait ce cadeau à chacun : nous donner à voir et à comprendre beaucoup.
Le Roi Lear de Shakespeare avec Jacques WEBER, Astrid BAS, Frédéric BORIE, Thomas DURAND, Babacar MBAYE FALL, Laurent PAPOT, Clovis FOUIN-AGOUTIN, Bénédicte GUILBERT, Manuel LE LIÈVRE, François MARTHOURET, Thibault VINCON, Grace SERI, José-Antonio PEREIRA
Mise en scène : Georges LAVAUDANT
Adaptation : Georges LAVAUDANT
Théâtre de la Porte Saint-Martin jusqu’au 28 Novembre
Crédit Photo © Jean-Louis Fernandez