Kings of War : Ivo van Hove dans les coulisses du pouvoir
Ivo van Hove adapte savamment trois pièces de guerre de Shakespeare et signe avec Kings of War une implacable et captivante étude politique et humaine aux fortes résonances contemporaines.
Après avoir créé une première trilogie regroupant Coriolan, Jules César et Antoine et Cléopâtre sous le titre des Tragédies Romaines, Ivo Van Hove s’intéresse à trois nouvelles figures shakespeariennes de premier plan : Henri V, Henri VI et Richard III, soit trois hommes, trois leaders, trois personnalités complexes réunis dans un seul et même spectacle-fleuve. Le premier roi, incarné avec trop de raideur par Ramsey Nasr, se distingue davantage par son caractère volontaire et concentré que par sa flamboyance. A l’exception d’une furtive scène d’orgie dans une backroom, van Hove ne s’attarde pas à montrer la dimension décadente et dissolue de la pièce comme pour mieux faire le portrait d’un gouverneur exemplaire à qui tout réussit. Son fils Henri VI, sacré prématurément, apparaît à l’inverse comme un être faiblard et impuissant. Génialement interprété par Eelco Smits, drôle et touchant en gamin hypersensible, il est une parfaite tête de turc de pensionnat dans son pyjama rayé. Enfin, Richard III, joué tout en superbe animalité par l’immense Hans Kesting, est à la fois lion majestueux, loup terrifiant et brebis apeurée. Le roi difforme et boiteux est ici un gaillard mature et fort bien bâti, simplement maculé d’une large tache vermeille qui lui mange le visage. Il s’impose en Narcisse contrarié qui se mire et se rêve devant un grand miroir mural. L’incarnation absolue du mal se révèle alors d’une douloureuse et désarmante sincérité.
Au cours d’un même cérémonial, aussi pompeux que parodique, les hommes d’état se succèdent et reçoivent les honneurs et la couronne. Accompagnés de leurs sous-fifres, ils paradent sur un long tapis rouge déployé dans le décor unique et néanmoins transformable d’un bunker servant de cabinet de travail inspiré de la War Room londonienne de Churchill. Des couloirs étroits entourent cet espace clos et se dérobent à la vue. Les intrigues les plus sordides et inavouables se jouent entre ces cloisons couleur clinique ; elles sont filmées en direct et reproduites sur un écran. Le scénographe Jan Versweyveld et le vidéaste Tal Yarden s’inscrivent dans la veine du formidable travail que réalisait l’allemand Bert Neumann .
La vidéo, la musique et les moyens scéniques les plus conséquents sont habilement utilisés de manière à ce qu’ils ne participent jamais à assurer superficiellement l’épate. Ils servent au mieux le sens, la fluidité de la narration, la clarté du propos et surtout le jeu d’acteurs, d’une densité remarquable, sans rien réduire ni étouffer. Soutenu par l’inventivité et la modernité de sa forme grandiose, Ivo van Hove délivre une réflexion à la fois introspective et explosive sur l’exercice du pouvoir observé dans sa troublante ambivalence. Rigoureusement analytique mais jamais dépourvu de sentiments les plus violents et bouillonnants, ce spectacle passionne de bout en bout.
Photos © Jan Versweyeld