Théâtre
Johan Leysen ouvre avec sobriété le temps du Deuil aux Bouffes du Nord

Johan Leysen ouvre avec sobriété le temps du Deuil aux Bouffes du Nord

13 June 2013 | PAR Yaël Hirsch

 

 

 

 

Le comédien et metteur en scène belge Johan Leysen livre une œuvre intime en forme de mosaïque de textes à partir du “Chant d’amour et de mort du Cornette” de Rainer Maria Rilke. Une suite de textes sur le deuil et la vie, rehaussée par un quatuor de violoncelles, une voix de soprano et l’univers bricolé du grand plasticien flamand Hand Op de Beeck au théâtre des Bouffes du Nord.

en deuil 3Tout commence par la nudité de la scène-grotte des Bouffes du Nord, dans une demie pénombre. Une comédienne porte au-devant d’elle une poussette pointée d’un parapluie où elle trimballe son éclairage. Elle s’illumine elle-même et commence par quelques considérations fortes sur la mort et le passage avant d’enchaîner sur un texte de Freud sur la difficulté de faire un deuil. A ce thanatos inacceptable, elle ajoute assez vite un eros surhumain avec un magnifique texte de Simone Weil sur la force et l’objectivation du sujet qui rencontre Dieu. Langoureusement, elle est rejointe par un autre cortège de poussettes où une soprano (Louise Wayman) et un quatuor de violoncelles s’auto-éclairent avec partitions et parapluies dans un Lied (d’après une élégie de Rilke) sur la grandeur de la mort. Interrompue, la musique de Dominique Pauwels, laisse subrepticement place à un écran. Un super8 déroule très doucement son son suranné et ses rubans noirs et blancs de l’enfance. Le Lied se termine, avec l’arrivée de la couleur sur les mains de la Soprano, vie et mort s’affrontant dans les stridents en jaune et vert. Les violoncellistes prennent le devant de la scène et les parapluies de photographes, noirs dehors, blancs dedans, s’ouvrent pour créer un chemin de lumière. Johan Leysen, habillé comme pour une cérémonie, livre alors le morceau de bravoure : un magnifique texte de Rilke sur un jeune soldat qui connaît quasiment en même temps l’amour et la mort. Le Texte a été transmis  au metteur en scène en néerlandais  et par son père disparu. Il le déclame, au long d’une balade mélancolique et en Français pour le public des Bouffes du Nord. Après ce long discours, écouté dans une immobilité quasi spirituelle, la vie reprend avec les mots vivants de Johan Leysen lui-même. Son propre texte (dit avec fougue par la comédienne Isabelle Ronayette)  parle franchement d’une enfance dont on ne peut pas faire le deuil. Le super8 s’ouvre aux couleurs et à des fleurs wharoliennes et la troupe remballe doucement parapluies, instruments et écran sur les poussettes tandis que la soprano continue à chanter dans la nuit la possibilité de la rencontre et du devenir.

Spectacle mosaïque, fait de morceaux épars de textes sublimes, éclairé uniquement par ce que les musiciens et comédiens peuvent apporter comme matériel, ce “Trauerzeit” est infiniment modeste, intime et personnel. Johan Leysen y a mis beaucoup de lui, du deuil impossible de son père. Et c’est sans prétention aucune, mais avec justesse qu’il accole son propre texte à celui, majestueux, de Rilke. On est touché par la beauté et la sincérité du spectacle, les cordes de la musique, le temps qui souffle lentement, la justesse de la voix de Louise Wayman et du jeu charismatique de Isabelle Ronayette. Et on est soufflé par la simplicité “moderniste” et efficace des décors mobiles de Hans Op De Beeck. Et pourtant, quelque chose de l’urgence du spectacle nous échappe, comme si Johan Leysen avait voulu faire trop proche et s’en défendait quand il lit Rilke, ni en Allemand, ni dans la langue du père où on lui a transmis, mais dans un Français qui butte, étranger. Malgré ce manque et peut-être à cause de lui, le spectacle se transforme en vanité esthétique et classique où les mots semblent planer, apaisants, comme au-dessus de la réalité du deuil. Un apaisement finalement assez proche de la vision rilkéenne de la mort et de l’être qui lui est outrageusement toujours destiné. Relativisant le passage, ce “Trauerzeit” résonne avec ce que le poète allemand écrivait dans ses “Cahiers de Malte Laurids Brigge”  : chaque individu est singulier parce qu’il porte en lui “la mort comme le fruit son noyau”.

« En deuil / Trauerzeit », mise en scène de Johan Leysen, avec Johan Leysen, Isabelle Ronayette, voix : Wayman, Ensemble Aton & Armide, scénographie : Hans Op de Beeck, Musique : Dominique Pauwels. Durée : 1h20.

visuels : Bohumil Kostorhyz

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