Théâtre
[ITW] Laura Elko dans “Enfin Vieille!” au Théâtre Bo-Saint Martin

[ITW] Laura Elko dans “Enfin Vieille!” au Théâtre Bo-Saint Martin

26 April 2016 | PAR David Rofé-Sarfati

Enfin Vieille se jouera au Festival Off d’Avignon 2017 au BO AVIGNON à 12H00.

Laura Elko est brillante. Laura Elko est très drôle. Elle a une immense énergie communicative. Comédienne aux multiples talents, chanteuse, musicienne et ventriloque, elle nous offre un spectacle drôle et émouvant. Mais pas seulement, car dans son texte “Enfin Vieille!”  se posent quelques questions passionnantes.

Elle s’empare d’un sujet inédit et sous un mode réjouissant. Si les vieux jalousent la jeunesse, ils en oublient que ces jeunes qu’ils jalousent sont condamnés aussi à réussir avant qu’il ne soit trop tard. Le jeunisme, posture hallucinatoire moderne qui consiste à voir dans tous les âges de la vie la capacité à se réaliser comme un jeune combat autant la biologie que les convenances. Et selon les choses on peut être trop vieux très jeune. Dés 6 ans observe Laura Elko, on est déjà trop vieux pour devenir un enfant précoce. Ressort comique le combat contre le temps est chez Laura Elko toujours perdu car si seuls les jeunes sont jeunes, personne n’est jamais assez jeune. Avec esprit et talent, Laura Elko interroge ces questions. La pièce est une belle découverte dans l’abondante offre de one man show ou de seul en scène. Laura Elko est un espoir de la scène et car nous devrons suivre sa carrière, elle a accepté de répondre à nos questions :

TLC : Vous faites dire à votre personnage : le jeunisme pourrit parallèlement la vie des vieux et des ados. Comment vous êtes-vous rendu à constater que le jeunisme peut aussi renverser l’ordre des jalousies, que celui qui se doit de réaliser jalouse celui qui a déjà accompli et que les jeunes ne se différencient des vieux seulement par le nombre des ratages déjà vécus.

Laura Elko: C’est vrai que je pense que dans une certaine mesure, nous sommes tous des « ratés », car les rêves d’enfant sont généralement inaccessibles. Les vieux envient les jeunes, car ils n’ont pas encore raté. Ils vont peut-être réussir, et c’est insupportable pour ceux qui se croient trop vieux pour avoir le droit de tenter quoi que ce soit ! Mais les jeunes envient aussi les vieux, car ils pensent qu’ils ont réussi, et qu’ils sont dans une position beaucoup plus confortable qu’eux, qui font la course contre la montre. D’autant que les adultes essayent de masquer leur sentiment d’échec, et construisent un récit de leur vie qui met en valeur ce qu’ils ont réussi. Surtout quand ils s’adressent à des plus jeunes ! Il faut bien justifier sa position de parent, de prof, etc.

On se rend tous compte de cette double jalousie en passant d’une génération à l’autre, d’adolescent à adulte. C’est pour ça que dans mon spectacle, le personnage que j’incarne devient prof, et se met à ressembler à la prof de chant qu’elle a eu enfant, qui est le personnage le plus désagréable du spectacle, celui dont je me moque le plus méchamment. C’est plus tendre, car celle qu’on a vue de l’extérieur au début, on la voit de l’intérieur plus tard dans la pièce.
TLC : Votre spectacle est touchant. Ce parallèle qui renvoie dos à dos les deux générations tient sa poésie de ce qui circule en particulier entre votre personnage et sa grand-mère et son yiddish. Parlez nous un peu de ce qui est autobiographique dans cette grand-mère juive hongroise.
Laura Elko: Ma grand-mère était une femme très marquante, très excentrique. Elle parlait très fort, avec un accent hongrois très prononcé. Quand on entrait avec elle dans un lieu public, tout le monde se taisait et regardait. Les gens étaient un peu au spectacle. Elle était très franche et très drôle. Quand on lui faisait remarquer qu’elle disait quelque chose d’inconvenant, elle rétorquait « et pourquoi je ne peux pas le dire si c’est vrai et si tout le monde le pense ? » si bien qu’elle était très attachante et que tout ceux qui l’ont fréquentée l’adoraient, même ceux à qui elle ne s’est pas privé de dire leurs « quatre vérités ». J’ai commencé à l’imiter quand j’étais petite.Tout le monde a toujours eu envie de l’imiter, car son accent et sa façon d’être étaient si drôles. Elle s’en plaignait régulièrement, et quand elle nous surprenait, elle lançait un « Ach ! J’entends encore que tout le monde m’imite… » Mais dans le fond je suis sûre que ça lui faisait plaisir ! Parfois, mes amis reprennent des phrases typiques d’elle, avec son accent, alors qu’ils ne l’ont pas connue, simplement parce qu’ils s’attachent à elle au travers de ce que j’en raconte. Et je me marre intérieurement en pensant que si elle voyait ça, elle dirait « Ach ! J’entends encore que tout le monde m’imite… » avec son air faussement fâché. C’était aussi une femme qui avait vécu l’horreur de la deuxième guerre mondiale pour les juifs d’Europe. Elle avait été déportée, et je pense qu’avoir vécu des choses si dures faisait d’elle un personnage à la fois tragique et très joyeux. Elle était parfois beaucoup plus grave que la plupart des gens pour des choses un peu futiles, mais souvent beaucoup plus légère, et ça faisait du bien, quand j’avais du chagrin ou que je pensais avoir raté quelque chose, de sentir, à travers son regard très tendre et ses moqueries, qu’au fond c’était pas si grave.

TLC : Au début du spectacle vous choisissez un spectateur au hasard dans la salle. Vous le faite parler comme une marionnette, vous en ventriloque. C’est drôle et périlleux. Cette prise de risques qui est le sujet de la pièce, vous vous l’appliquez à vous-même. Quel est votre rapport au challenge et au risque.
Laura Elko: C’est vrai que la prise de risque est le sujet de la pièce ! Puisque mon personnage est terrorisé à l’idée de rater… et que cajoler son goût du risque est le meilleur remède que j’ai trouvé pour soigner la peur de l’échec. Plutôt que de se focaliser sur le résultat qui pourrait ne pas être à la hauteur de ce qu’on espère, autant s’amuser du chemin, du processus qui y mène…
Pour revenir au numéro dont vous parlez, je l’ai écrit pour qu’il soit périlleux pour moi afin qu’il y ait un vrai partage avec la personne du public qui me rejoint sur scène. C’est difficile d’être appelé sur scène. On est dans l’incertitude et on peut se sentir gêné, avoir peur de ne pas savoir quoi faire, ou quoi dire, d’être ridicule. J’ai voulu me mettre moi-même en position d’incertitude et ressentir cette gêne à ce moment-là. Comme ça, mon partenaire du public et moi-même sommes sur un pied d’égalité, et nous pouvons vraiment échanger. Je le fais parler comme ma marionnette, mais en fait c’est moi qui suis sa marionnette. Je ne voudrais pas que cette personne se sente simplement « utilisée ». Elle est aussi en droit de « m’utiliser » !… et c’est plus drôle !

Et Laura Elko est drôle, très drôle.

Auteur : Laura Elko
Artistes : Laura Elko
Metteur en scène : Lauri Lupi, Isabelle Turschwell

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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