[Interview] Yann-Joël Collin: “J’espère que le temps partagé sur Godot avec le public soit un temps extrêmement vivant entre le public et nous”.
Yann-Joël Collin, avec ses comparses de la Compagnie La Nuit surprise par le Jour, s’attaque à un classique du répertoire : En attendant Godot, de Samuel Beckett, qui sera présenté du 7 au 22 décembre au Théâtre de la Cité Internationale (Paris). A cette occasion, l’acteur-metteur en scène a bien voulu répondre à nos questions sur ce projet, avec intelligence, sensibilité et bonne humeur.
Toute La Culture: Bonjour Yann-Joël Collin. Votre nouveau spectacle, En attendant Godot, est à l’affiche du Théâtre de la Cité Internationale à partir du 7 décembre. Est-ce que vous pourriez nous expliquer comment vous êtes passé de Tchekhov, votre dernière création, à Beckett ?
Yann-Joël Collin: Ce n’est pas que nous avions décidé, juste après La Mouette, de faire du Beckett ! Dans nos têtes, en présentant La Mouette, nous avions l’idée de pouvoir faire ensuite La Cerisaie, que je vais effectivement créer au printemps, dans la continuité de l’esprit de ce que j’avais mis en jeu dans la Mouette : une troupe en train de fabriquer du théâtre, au présent. Que du coup que le public ait le sentiment d’assister à l’élaboration même de l’œuvre, qu’il sente qu’il soit nécessaire à sa création même.
TLC : Alors, du coup, pourquoi avoir choisi demonter En attendant Godot entre les deux, comme un interlude ?
Y.-J. C. : Pour En attendant Godot, on va dire que depuis la création de la Compagnie en 1993 [NdA : la Compagnie La Nuit surprise par le Jour], notre obsession à chaque fois a été de mettre en jeu des acteurs fabricant une œuvre, et le plaisir que nous avions à le faire. En attendant Godot était une pièce que nous voulions monter depuis longtemps, parce que justement elle met en jeu l’acteur face au vide, face à sa raison d’être, là, sur un plateau. J’étais acteur d’abord à la base ; or, ces dernières années je mettais en scène, surtout, les projets : j’étais peu ou pas participant. Mais c’est important pour moi de me mettre à l’épreuve de ce que je recherche et de ce que je demande aux acteurs. Et Godot c’est ce que j’ai trouvé de plus radical, on va dire. Justement parce qu’il n’y a pas de fiction dans cette pièce, il y a juste les acteurs qui se mettent en jeu, même s’il y a un prétexte qui est d’attendre Godot. Continuellement, en permanence, les personnages se posent la question de leur raison d’être. En tous cas, ils sont là, mais ils ont aucune raison d’être là, et du coup ils sont dans leur propre vacuité, et ils vont donc donner une part d’humanité. Ça m’a amusé, avec mon camarade Cyril [Bothorel], de nous mettre en jeu radicalement, cherchant à « essayer de meubler » (comme le disent eux mêmes Vladimir et Estragon), de continuer à exister sur le plateau. J’ai donc trouvé que la pièce était un sacré challenge, qui allait dans le sens du travail qu’on faisait.
TLC : Vous avez beaucoup parlé du jeu, mais pas beaucoup de la mise en scène. Difficile de mettre en scène une pièce dont le sujet central est l’absence, le vide, l’étirement du temps, l’attente… ?
Y.-J. C. : Je crois que profondément ce n’est pas l’attente… Le vide, oui, mais le public est dans la complicité de cette absence là Il n’y a pas ici une mise scène, de costumes pour remplir ce vide. Il y a juste deux acteurs. Justement, je pense que ça devrait paraître sans mise en scène… qu’on soit vraiment au plus radical de simplement deux acteurs qui se mettent en jeu devant un public, dans cette économie de moyens, de se dire « y’a que nous, on va faire avec ». Si j’ai monté cette pièce c’est vraiment pour me mettre à l’épreuve moi, parce que je suis avant tout acteur : je ne me suis jamais conçu comme un metteur en scène, même si, pourtant, je travaille sur la dramaturgie essentiellement. Je suis profondément, d’abord, acteur. Donc, mettre en scène et jouer, là, effectivement, je me mets au plus près de mon problème ! (rires) L’essence même, comme le disait Vitez : « C’est l’acteur qui est porteur des signes ». Le théâtre, c’est un acteur et un public, et un texte, et comment ça, ça met en jeu du vivant ! Et du coup j’ai trouvé que Beckett était radical vraiment à cet endroit-là : il n’y a rien, on a un arbre et puis c’est tout. Une salle, et un public.
TLC : La pièce En attendant Godot s’enracine profondément dans la mise en scène de la la condition humaine et de sa fragilité. Est-ce qu’il n’y a pas un risque à confronter le public à cet abîme, à cette invitation à contempler la vacuité et la possibilité de la fin ? Quel est le rôle de la distanciation, dans ce rapport au public ?
Y.-J. C. : Parfois le public est confronté à l’abîme : « Mais ils ne vont pas faire ça quand même ? mais qu’est-ce qu’ils font ? c’est du théâtre, là ? ». Et en même temps, parfois c’est tellement bête : Estragon et Vladimir sont très premier degré, ils sont très vivants, et du coup c’est aussi très drôle… j’espère ! Parce que si c’est vivant, ça sera drôle, et ça sera partagé. Et j’espère justement inscrire cela au présent pour qu’on ait tous conscience qu’on est au théâtre : je n’ai pas de décors pour essayer de faire oublier qu’on serait au théâtre, ou quelque part de créer une distance entre le public et la scène. Au contraire ! On casse le quatrième mur, pour que ce soit une chose qui soit partagée. Après, il faut faire confiance à Beckett et à l’écriture de Beckett : on s’astreint à être dans la rigueur non seulement du texte mais du rythme de l’écriture, justement pour que s’inscrive le vivant à l’intérieur de ça. Dès qu’on n’est plus au présent, on n’est plus que dans la représentation d’un théâtre étrange, qui n’est pas, je crois, ce que proposait Beckett profondément au départ, qui était juste de créer la faille, et de s’engouffrer dans cette faille… et de voir un petit peu jusqu’où cela nous entraîne, acteurs et spectateurs…
TLC : Donc tout tourne autour de la prise d’un risque, de l’exploration de la faille, au présent…
Y.-J. C. : La culture, le théâtre, sont là aussi pour questionner ; cela peut être divertissant, mais c’est un questionnement perpétuel pour nous acteurs, et pour le public. Même si parfois c’est pour nous renvoyer à du vide et à des abîmes. J’espère que le temps partagé sur Godot avec le public soit un temps extrêmement vivant entre le public et nous, et que du coup on aura vécu un moment d’humanité. C’est un projet ambitieux ! (rires) Si j’ai peur, si c’est un challenge, c’est que je crois qu’il y a un vrai enjeu à cet endroit-là, dont j’espère qu’on arrivera à le partager avec notre public. Sinon, on sera à côté de notre projet ! J’espère qu’on sera à cet endroit-là, et que ce sera une chose qui nous fera grandir, nous, moi, mes camarades, et le public ensemble, de ce qu’on aura confronté de notre vacuité. (rires) Même savoir qu’on n’est que poussière, ça fait du bien parfois aussi !
TLC : Avoir choisi le Théâtre de la Cité Internationale, c’est comme un retour aux sources ?
Y.-J. C. : C’est vrai, il y a quelque chose d’une attache et d’un retour aux sources. Effectivement, c’est un lieu qui a été très marquant pour nous, parce que c’était notre premier spectacle, Homme pour Homme et l’Enfant d’éléphant, de Bertolt Brecht. Mais avant Homme pour Homme j’étais déjà venu faire Violences I & II… C’est vrai qu’il y a toute une histoire, autant pour la Compagnie La Nuit surprise par le Jour, que pour moi personnellement, qui a été assez marquante à la Cité Universitaire. Et, un jour que je passais au Théâtre, pour évoquer la Cerisaie, parce que c’était déjà en train de se monter, j’ai dit : « En ce moment on travaille sur Godot », et ils ont dit « Ah ! ça nous intéresse ! ». Et du coup, avec En attendant Godot, on retourne aux sources… mais c’est vraiment aux sources, aux sources : il n’y a rien, il y a un arbre ! (rires)
En attendant Godot, au Théâtre de la Cité Internationale
Texte : Samuel Beckett, Mise en scène : Yann-Joël Collin. Avec : Cyril Bothorel, Yann-Joël Collin, Christian Esnay, Pascal Collin, Elie Collin.
Du 7 décembre 2015 au 22 décembre 2015.
Visuels : © Mathilde Delahaye