Une intelligente adaptation de Fuck America d’Edgar Hilsenrath à La Manufacture des Abbesses
Le spectacle Fuck America créé pour le OFF d’Avignon en 2017 revient jusqu’au 14 Octobre après une tournée en province. L’adaptation de Laurent Maindon et de sa troupe restitue le sinistre autant que l’humour du roman best seller de Edgar Hilsenrat.
Le Juif Bronsky piégé dans la nasse de la montée du nazisme a longtemps voulu émigrer pour les États-Unis, mais chaque demande de visa était poliment refusée par le consul américain. Ce n’est qu’après la guerre dans les années 50 que celui qui avait survécu aux ghettos nazis et à la solution finale débarque à New York avec l’intention de gagner sa vie comme romancier. Mais le rêve américain reste un mirage. New York a ses codes et ses usages et Bronsky l’émigré, très occupé par ailleurs par sa bite découvre l’exil en la déréliction qu’il renverse sur ceux qui se sont arrachés à leur histoire dans l’espoir de s’en construire une nouvelle. Il vient nous raconter avec humour et légèreté sa condition de migrant, errant entre les jobs minables, les putes, les plans pour tromper la faim, et son rêve de futur best-seller : Le Branleur.
Le ton du roman est truculent insolent, pétri d’auto dérision et d’humour Juif. Edgar Hilsenrath est un magnifique romancier joyeux, mais cynique; ses oeuvres sont dynamiques et saccadées de situations rocambolesques. L’auteur s’y amuse. Il s’autorise à ajouter des dessins pour illustrer son texte car du fond de son scepticisme Hilesnrath s’autorise tout. Lautent Maindon nous restitue tout l’esprit de Edgar Hilsenrath tandis que les magnifiques encarts vidéo en rappelant les dessins soutient le geste.
Le rythme est enlevé. Le plateau est investi, le public saisi. La joie se diffuse dans la salle de la Manufacture. Laurence Huby est une Jacqueline Maillan moderne. Yann Josso et Ghyslain del Pino sont truculents, leur densité de jeu garantit la pièce. Nicolas Sansier réussit le pari d’affronter avec brio le célèbre Bronsky. Le plaisir du public ne connaît aucune respiration. On rit beaucoup à aimer ce Bronsky.
Christophe Gravouil assure avec talent le personnage de l’auteur. Il est le narrateur hors plateau. Par ce dispositif, la pièce échappe à la forme héritée du roman d’une succession d’anecdotes L’épisodage du texte de Hilsenrath se transforme là en une pièce continue et non en une succession de sketches. Par cette figure de style, Maindon organise également un décalage de deux modes de récits, de deux temporalités. Il donne à sa pièce une épaisseur remarquable.
Une pièce remarquable à ne pas rater avant de lire ou de relire l’oeuvre de Hilsenrath.
Fuck America de Edgar Hilsenrath mis en scène par Laurent Maindon à La Manufacture des Abbesses, 7 rue véron, Paris