Théâtre
« Il ne faut jurer de rien », un Musset moderne par Eric Vigner.

« Il ne faut jurer de rien », un Musset moderne par Eric Vigner.

16 February 2025 | PAR David Rofé-Sarfati

Éric Vigner est un amoureux de Musset. Littéraire et grand dramaturge, il se fait magicien pour créer une pièce contemporaine et en même de répertoire.


En 2022, Éric Vigner établissait son Centre de Recherche et de Création Théâtrale à Pau. Le lieu prenait pour mission de relire le répertoire français classique du XVIIe au XIXe siècle. Après un festival dédié à Molière, le metteur en scène ouvre un cycle de recherche et de création consacré au grand auteur du 19? : Alfred de Musset.  Et l’on verra comment l’auteur romantique de Lorenzaccio, éternel amoureux, amant de Georges Sand, mélancolique, syphilitique et prodige, interroge notre théâtre actuel dont il aura façonné des fragments.

En conciliant le théâtre classique et le drame romantique, Musset se présente à nous comme un précurseur du théâtre moderne. Il fait advenir de nouvelles formes dont un rapport modernisé au texte et au public. Contemporain de Victor Hugo, Musset se prête à une écriture moderne en cela que l’auteur parle de sa personne. Sa vie senti-mentale féconde son œuvre. Dépressif, il glissera dans l’alcoolisme, l’oisiveté et la débauche, pour mourir de la tuberculose.

Alfred de Musset nous passionne d’autant plus lorsque Éric Vigner s’y intéresse.

Après son merveilleux Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée, Eric Vigner choisit d’investiguer la pièce proverbe : « Il ne faut jurer de rien ».

Une pièce d’ados

L’intrigue est une expérience amoureuse in vivo, une parabole. Valentin, un jeune homme libertin et cynique, se proclame convaincu qu’il ne tombera jamais amoureux, ni qu’il ne se mariera. Son oncle, Van Buck, souhaite le voir épouser Cécile, la fille d’un baron désargenté. Par défi, Valentin accepte de tenter de la séduire, sans intention sincère. Au fil de leurs rencontres, il découvre en Cécile une femme intelligente et sincère. Le voici troublé. Lui qui se croyait maître de ses sentiments tombe amoureux. Malgré lui. Aussi, il consentira à enjamber ses convictions faussement solides et son narcissisme fragile. Il avouera ses véritables sentiments et demandera la main de Cécile. Morale de Musset : en amour, il ne faut jurer de rien. On ajoutera que l’individu est le fabuleux effet de discours de l’amour.

Une pièce dans notre époque

Éric Vigner a mis en scène la pièce avec une distribution composée de sept jeunes acteurs et actrices issus de la promotion 11 de l’École du Théâtre National de Bretagne (TNB).  Cette nouvelle interprétation établit un lien entre les préoccupations de Musset, auteur romantique du XIXe siècle, et celles de la jeunesse contemporaine.

Pour réussir à captiver le 21? siècle de l’immédiateté, de l’inclusion et de la foi en la spontanéité, il fallait déplier les grands thèmes de la pièce en s’extrayant de la solennité du texte. Il fallait aussi saisir le public sans lui confisquer le plaisir de la littérature, un plaisir qui viendrait avec force, mais de surcroît.

Éric Vigner orfèvre, y parvient ; la pièce est un bonheur contemporain pour tous les âges. Sa direction d’acteur est formidable. Musset voulait prouver que l’amour ne se commande pas et qu’il peut surprendre même ceux qui s’y croient insensibles. Le jeune comédien Nathan Moreira invente un Valentin roublard sidéré par ses nouveaux sentiments. Il engage tout son corps parcouru d’une vigueur quasi sportive pour faire croire au cynisme du personnage tandis que Cécile Armengol incarne avec talent l’innocence qui lentement s’affranchit. Pas à pas, les personnages évoluent et basculent. Valentin abandonne son ironie pour une émotion véritable, tandis que Cécile, d’abord réservée, s’épanouit dans la sincérité. Bravo à ces comédiens et au reste de la troupe au diapason.

Le décor sobre et épuré, jouant sur les lumières, les costumes modernes et une bande son intelligente, rompent avec le siècle du texte original. La mise en scène et la scénographie empruntent leurs motifs à des univers pluriels jusqu’à des clins d’œil à la comédie musicale.

Les jeunes comédiens reprennent les codes actuels, ils s’extraient du texte cathedra sans le mépriser. Ils se rient de leurs émotions, filoutent en des adresses au public délicieuses. Ils sont des jeunes du 21?. Nous retrouvons notre époque qui ne rejette pas complètement l’institution du mariage sans s’interdire de la critiquer et pour laquelle la spontanéité des sentiments sert de boussole.

Nous retrouvons, avec bonheur, les faux semblants des boursouflures narcissiques actuelles. Le pulsionnel envahit la salle. La vivacité des mouvements, les joyeux frémissements ininterrompus des comédiens signent cette ironie du destin conjuguée à la puissance des émotions. Bientôt les amusements de chacun refermeront le piège sur l’amour.

Le geste d’Eric Vigner est formidable. Il préserve autant la comédie que la satire sociale. Son parti pris potentialise les émotions. Il nous propose un Musset dévoré et fidèle à l’esprit de la pièce.

Un proverbe pour aujourd’hui.


Il ne faut jurer de rien
Texte
ALFRED DE MUSSET
Mise en scène et scénographie
ÉRIC VIGNER
Collaboration artistique
JUTTA JOHANNA WEISS
Assistanat à la mise en scène
ÉMILIE LACOSTE
Maquillage-coiffures
ANNE BINOIS
3 Son
JOHN KACED
Lumières
NICOLAS BAZOGE
Costumes
JATIN MALIK COUTURE
Régie générale
MICHEL BERTRAND
Régie lumière
MANON PESQUET
Avec
ESTHER ARMENGOL Cécile
LUCILLE OSCAR CAMUS Le maître de danse

STÉPHANE DELILE L’abbé
ESTHER LEFRANC La baronne de Mantes

PAOLO MALASSIS Van Buck
NATHAN MOREIRA Valentin

Durée 1h30

CRÉATION 2025

Rennes, Théâtre National de Bretagne

28 01 – 06 02 2025

Pau, Théâtre Saint-Louis

20 02 – 22 02 2025

 

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David Rofé-Sarfati
David Rofé-Sarfati est Psychanalyste, membre praticien d'Espace Analytique. Il se passionne pour le théâtre et anime un collectif de psychanalystes autour de l'art dramatique www.LautreScene.org. Il est membre de l'APCTMD, association de la Critique, collège Théâtre.

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