Théâtre
Fin de série, notre futur quotidien dessiné par l’humour grinçant de Jean-Claude Cotillard

Fin de série, notre futur quotidien dessiné par l’humour grinçant de Jean-Claude Cotillard

09 September 2013 | PAR Charlotte Dronier

« Tu vas avoir quatre-vingt-deux ans. Tu as rapetissé de six centimètres, tu ne pèses que quarante-cinq kilos et tu es toujours belle, gracieuse et désirable. Cela fait cinquante-huit ans que nous vivons ensemble et je t’aime plus que jamais. Je porte de nouveau au creux de ma poitrine un vide dévorant que seule comble la chaleur de ton corps contre le mien. » La majorité d’entre nous rêve secrètement de pouvoir lire ou écrire ces mots d’André Gorz un jour. Sauf que nous n’avons pas tous sa poésie et encore moins l’élégance de Jean-Louis Trintignant dans Amour d’Haneke. Conscients de cette dure réalité, Jean-Claude Cotillard, Zazie Delem et Alan Boone interprètent à six mains avec un humour grinçant notre futur quotidien d’un couple d’antihéros durant les premières années de leur retraite…

Le nouveau projet issu de la compagnie Cotillard s’intitule par là-même « Fin de série ». Fruit de plus de trente ans de collaboration et d’amitié, cette pièce à l’esthétique particulière du théâtre gestuel et du comique burlesque représente à la fois les racines des formations des acteurs, un cycle de vie qui s’achève et la preuve irréfutable d’une rare connivence comme l’explique Jean-Claude Cotillard pour Visioscène : « Moi j’ai plus un regard visuel, élargi et en ce sens, on se complète très bien. C’est vraiment une circulation d’énergies, de points de vue, de jeux selon les situations. (…) Les trois acteurs sont des acteurs complices, on se connaît très très bien. Ils connaissent bien mon univers, mon travail, mais je ne peux pas écrire sans leur participation, pas tout penser avant, donc nous allons imaginer des situations et improviser tout simplement. Bon, on va faire le petit-déjeuner, comment on fait ? On s’assied l’un en face de l’autre et on commence à improviser et à partir de là, l’écriture va se faire… » Comme chacun de nous en somme lorsqu’il s’agit de forger le couple, à ceci près que le tandem Cotillard-Delem vit une romance sans paroles, au sein de laquelle le dialogue n’est plus le moteur de leur relation usée.

FIN DE SERIE Photo Les 3 (photo libre (c)Geraldine Aresteanu)Le spectateur comprend alors leurs personnalités bien trempées par des mimiques et gestes jubilatoires d’apparence anodine mais parfaitement orchestrés à la rigueur rythmique chorégraphique. Monsieur et sa frime masculine, un brin égoïste et brut de décoffrage mais pas mauvais bougre dans le fond. Madame et sa coquetterie, un brin maniaque et de bonne famille, mais faussement coincée dans le fond.

Il y a là un véritable travail de documentation et d’observation à propos du troisième âge, savant mélange de souvenirs personnels et d’entretien avec un médecin de campagne. En résulte le fait que malgré la dégénérescence des corps, la facétie et l’immaturité de l’enfance sont pourtant exacerbées, comme le décrit Jean-Claude Cotillard : « Ils n’ont pas encore grandi que déjà, ils rétrécissent. Le corps finit son parcours, mais ils sont aussi bêtes qu’avant. Ils n’ont pas avancé d’un iota. Ils ont les mêmes réflexes que des gamins de dix ans et c’est intéressant car le corps est différent à ce moment-là. » A partir de ce constat, tous les ressorts du comique et du burlesque vont se mettre en place puisque l’un teste l’autre constamment.

Nous pénétrons alors pour une journée dans l’intimité de leur appartement monochrome, où les seules sonorités sont le ronron rassurant du micro-ondes (dont l’usage perfide détraque le pacemaker de Monsieur), le blop-blop du poisson rouge, le chant entêtant du rossignol et ce coucou agaçant. Tous ponctuent le temps et les habitudes. Une joyeuse cacophonie sur laquelle les gestes de Jean-Claude Cotillard et Zazie Delem se synchronisent dans l’adversité et les petites tâches quotidiennes. Chacun les réalise avec le caractère qui lui est propre, avec provocation, histoire de rappeler qu’en dépit de cette longue vie de couple où l’un déteint sur l’autre, son identité est toujours bien affirmée.

Surenchère dans la prise de médicaments, rivalité quant à celui qui sera le plus sportif, quitte à s’en rendre ridicule par fierté, bêtise derrière le dos de l’autre, pulsions sexuelles et ardeurs refreinées, « Fin de série » se rapproche de la vision de Pina Bausch sur les relations homme-femme et l’amour vache. Au milieu de ces petites mesquineries truculentes, entre ponctuellement en scène sur fond de musique latino chaloupée Alan Boone, qui lui est so fresh. Il incarne tour à tour ces professionnels qui rendent visite à nos chers anciens dans le but de les importuner, voire arnaquer. Le médecin et le kiné, indispensables, le coach sportif et le décorateur d’intérieur qui bouleversent l’ordre établi et enfin un marchand qui vend des tas d’objets inutiles et un autre qui prospecte pour ses cercueils. Le couple s’assagit alors, crédule, fasciné et discipliné face à la découverte de ces technologies…

Peu à peu la fin de journée approche. Madame baisse enfin la garde et s’attendrit, Monsieur, lui, a d’autres besoins naturels urgents bien moins romantiques… S’en suivront les dernières scènes malgré les rires incessants d’un public intergénérationnel, signe que le trio Cotillard-Delem-Boone a su ausculter avec réalisme, dérision et tendresse la vieillesse débutante que nous appréhendons tant…

Charlotte Dronier

Visuel : (c)Geraldine Aresteanu

Fin de série, de et avec Jean-Claude Cotillard, Zazie Delem et Alan Boone
du 4 Septembre au 13 Octobre 2013 (du mercredi au samedi à 21h30, le dimanche à 17h)
Vingtième théâtre, 7 rue des Plâtrières 75020 Paris. Métro Ménilmontant
Infos et réservations 01 43 66 01 13 – http://www.vingtiemetheatre.com/2013-2014/

Infos pratiques

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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