
Elsa Granat passe nos coeurs et nos certitudes au Vitriol au Théâtre de la Tempête
Olivier Werner nous revient! Admirable au OFF d’Avignon en 2016 dans La Pensée d’Andreiev, le comédien trop rare prodigue son immense talent au duo Elsa Granat -Roxane Kasperski. Une nouvelle fois pour un spectacle beau et édifiant dont on ne sort pas indemne; à voir et à revoir.
Dans Mon amour fou, Elsa Granat et Roxane Kasperski nous racontaient l’histoire d’une femme se résignant à quitter son compagnon bipolaire. V.I.T.R.I.O.L constitue en quelque sorte l’épisode suivant. Notre héroïne vit une soirée calme avec son nouveau compagnon alors que le passé s’invite. L’ancien amant en proie à une crise maniaque débarque pour saisir les psychés du couple et en prendre le contrôle. Dans cette entreprise d’intrusion, il posera sa vérité, celle d’une errance au milieu des electros-chocs et des benzodiazépines, celle d’une identité morcelée, d’une existence de reclus sans appartenance ni adresse. Dans sa quête d’un retour en amont du premier embrasement et de sa prise en charge médicale, il nous enseignera le manifeste de l’anti psychiatrie, il fera entendre les voix de Pierre-Félix Guattari et de Gilles Deleuze. Il criera, entrailles à ciel ouvert, sa douleur de vivre un surplus de vide, ce supplément de son manque à être causé par les soins psychiatriques eux-mêmes.
Depuis ces années de lutte, les cartes ont été rebattues par une pharmacopée nouvelle et fantastique. Aujourd’hui les patients atteints de psychoses maniaco-dépressives s’enflamment parfois, mais la plupart est socialisé, a un travail, certains se marient, fondent une famille. Le propos de la pièce reste toutefois précieux et édifiant, car les hôpitaux psychiatriques prisons demeurent, que la clinique de La borde reste l’exception, que les laboratoires pharmaceutiques continue de catégoriser les patients, de faciliter une classification à projet consumériste, celui de vendre toujours plus de médicaments.
Le théâtre de Elsa Granat revendique à enseigner. Néanmoins, car il se cherche dans une proximité forte avec les personnages, il mène le combat sans didactisme, sans dogmatisme ni violence. La metteuse en scène, formée par Christian Beneddetti, connaît son art. Elle construit une pièce témoignage poignante au caractère intimiste, parfois impudique. Dans un même décor pluriel, les tableaux se succèdent et avec eux des motifs théâtraux spectaculaires. Nous résidons alternativement dans la psyché du héros, et en tous lieux où il cherche à se domicilier. Des musiciens accompagnent son périple. Hey Joe de Jimmy Hendrix joué à la flûte traversière est un moment de grâce, parmi d’autres. La pièce réussit à intriquer le spectaculaire impressionnant à un discours brillant. Elle nous donne à penser autrement.
Les comédiens sont au diapason de cette foutraque et non moins sérieuse profession de foi. Et puis il y a Olivier Werner. L’acteur et metteur en scène subjugue. Il tient la pièce de bout en bout. Le comédien est hors classe. Les regards se dirigent dès le premier mot vers son visage, pour s’y aimanter. Ce visage sera désormais celui de notre conscience politique sur la psychiatrie en institution. Ainsi, en prime de son esprit la pièce nous offre une occasion rare de voir jouer cet immense acteur. Ne surtout pas rater ce cadeau.
VITRIOL
Visita Interiorem Terrae Rectificando Invenies Operae Lapidem
Explore tes entrailles et découvre le noyau sur lequel bâtir une nouvelle personnalité
de Roxane Kasperski et Elsa Granat
mise en scène Elsa Granat
Theatre de la Tempéte
Cartoucherie de Vincennes
du mardi au samedi à 20h30, le dimanche à 16h30
Salle Copi • Durée : 1h40
Crédit Photos Christophe Raynaud de Lage