![[Critique] La Jeune fille et la morve à La rose des vents, journal intime d’une écorchée](https://toutelaculture.com/wp-content/uploads/2014/05/lajeunefilleetlamorve2@LAW1-1024x682.jpg)
[Critique] La Jeune fille et la morve à La rose des vents, journal intime d’une écorchée
Co-écrit par Amélie Poirier et Mathieu Jedrazak lors d’une résidence à l’Établissement Public de Santé Mentale d’Armentières, La Jeune fille et la morve, qui emprunte son titre à Schubert, est un spectacle au croisement entre le théâtre et la performance, qui traite principalement de la danse mais dans lequel on ne danse pas – à peine sont esquissées, avec beaucoup de maîtrise, quelques figures de ballet. Très égo-centrée, la performance emmène de l’émotion à l’agacement en un tour de main, alors que la jeune danseuse se met à nu dans sa plus profonde intimité.
Car la ligne de démarcation entre la réalité de l’expérience ici contée par Amélie Poirier, et la fiction théâtrale amenée par la mise au plateau, est si ténue que l’on en vient à se demander si elle existe vraiment. Poirier donne son vrai nom, raconte des faits autobiographiques bien réels lorsqu’elle évoque son parcours, et le récit de cette blessure encore vive, résultat d’années de danse classique qui ont laissé des stigmates aussi bien physiques que psychiques, est livré ici sans fard et sans retenue.
De très belles trouvailles de mise en scène donnent une véritable profondeur au spectacle, notamment grâce au mannequin tout déglingué qui est la seule autre présence au plateau, et qui représente certainement le double de la danseuse, aussi écorché qu’elle. Poirier lui fait subir les pires sévices, tout en se comportant avec une grande tendresse envers elle – avant de la ligoter pour la faire encore souffrir de plus belle, illustrant ainsi la théorie du double bind qui semble l’unir à ses proches. Un autre beau moment est celui où, seins bandés, chaussette sur le sexe et pilosité faciale dessinée au crayon, la danseuse devient danseur, dans la démarche tout comme dans la voix, et évoque ainsi l’insupportable sexisme qui règne dans le milieu de la danse classique. Une très belle sortie de plateau permet à La Jeune fille et la morve d’offrir une fin pleine de poésie aux spectateurs, alors que la jeune fille ouvre une porte sur l’extérieur pour partir dans la lumière. Mais il pleuvait ce soir-là à La rose des vents, et le sentiment devient alors tout autre, évoquant un spleen tout baudelairien.
Car la dépression et le dégoût de soi sont au centre d’un propos qui, s’il est clairement le récit d’une profonde blessure psychologique, finit par tourner en rond alors qu’aucune solution ne semble s’offrir à la danseuse pour se sortir de sa torpeur tournée uniquement et inlassablement sur elle-même. Le long monologue dans lequel elle s’adresse à Mathieu Jedrazak apparaît comme la longue litanie de tous les problèmes qui l’accablent, qui la fait s’enfoncer de plus en plus profondément pour repousser toujours plus loin le fond de sa névrose. Si le malaise mental est, depuis les romantiques, au centre de bon nombre d’œuvres d’art, il lui faut se sublimer pour lui permettre de toucher à l’universel et ainsi emmener le public avec lui. Ici, La Jeune fille et la morve reste encore trop dans le particulier pour se sortir de l’expérience singulière.
Photos : LAW