
“Copenhague” de Michael Frayn à la Reine blanche.
Au Théâtre de la Reine Blanche, l’acteur et metteur en scène Nicolas Vial monte la pièce captivante comme un polar de l’auteur anglais Michael Frayn. À ne pas rater.
Septembre 1941, Copenhague. Heisenberg, chargé des recherches atomiques pour le IIIème Reich, rend visite à son ami et père spirituel Niels Bohr et à sa femme Margrethe. À l’issue de cette rencontre, rien ne sera plus comme avant entre les deux amis.
Le mystère Heisenberg
La pièce est un huis clos à trois personnages : Heisenberg, Bohr, et Margrethe. Trois spectres en vérité puisque l’action se situe après la mort des protagonistes. Bohr et Heisenberg étaient amis, collaborateurs de recherche. Ils ont contribué aux fondations de la physique quantique avant la Seconde Guerre mondiale. En 1941, Heisenberg est directeur d’une partie du programme de recherche allemand sur l’énergie nucléaire. Le Danemark, patrie de Bohr, est alors occupée par les nazis, et Bohr est Juif.
En 1941, Heisenberg contacte Bohr et, à la faveur d’un dîner privé, l’emmène en promenade pour discuter à l’abri des écoutes de la Gestapo ; au bout d’un bref moment, Bohr rentre, hors de lui. Ce qui s’est dit lors de cette discussion historique est le sujet de nombreuses spéculations. La version de Bohr dit qu’Heisenberg tentait de le recruter dans l’effort de guerre nazi. Heisenberg quant à lui explique qu’il tentait de donner à Bohr des informations sur l’état du programme allemand, dans l’espoir qu’il saurait les faire passer aux Alliés par des contacts clandestins.
L’homme face à l’absence des contingences
La pièce chemine dans le labyrinthe des possibilités et des versions. Le sujet est terrible. Le duel est féroce. Les trois comédiens parviennent à donner à leur personnage cet irréel et à la fois cette humanité. Nous sommes invités au cœur de l’atome, au plus prés de la terreur des périls. L’interprétation des trois comédiens impressionne. Stéphane Valensi en ténébreux Bohr et Nicolas Vial en nerveux Heisenberg incarnent avec brio deux personnages broyés par la grande histoire autant que par leur narcissisme académique et leur amour de la vérité. Julie Brochen défend une femme de Bohr qui offre au deux universitaires une respiration, un cadre à leur querelle. Elle est la rampe qui empêche chacun de chuter. Elle est formidable.
Les enjeux sont scientifiques et politiques, mais au-delà de notre entendement surgit autre chose. Bien sûr, nous sommes non coutumiers de la fusion nucléaire, et souvent écartés de la rhétorique savante,. Mais le propos est ailleurs. Il réside dans ce qui circule entre Bohr et Heisenberg, une sorte de phénomène vibratoire à l’instar de la théorie quantique. Les deux comédiens inventent une déréalisation qui accompagnée d’une remarquable scénographie nous plonge dans les limbes de l’histoire et des psychés. La relation entre Bohr et Heisenberg est détricotée avec finesse. Nous sommes happés par la confrontation. Les deux esprits ferraillent devant nous. À la fin de la journée, Heisenberg chute de ne plus avoir de questions, il est sec, désemparé, exsangue tandis que le Bohr soutient son rôle : celui d’être l’endroit de la question. C’est vertigineux.
Copenhague
de Michael Frayn (traduction Jean-Marie Besset)
mise en scène de Nicolas Vial
avec Julie Brochen + Stéphane Valensi + Nicolas Vial
Crédit Photo ©LOeil-de-Paco