Le chœur sombre et lumineux de Gurshad Shaheman fait vibrer Avignon
Au Festival d’Avignon, Il pourra toujours dire que c’est pour l’amour du prophète de Gurshad Shaheman donne à entendre la parole de jeunes exilés gays et trans dans un poignant oratorio.
Dix-sept comédiens ne quittent pas la scène. Ils prennent place, ensemble et séparés, sur le simple sol couleur goudron d’un espace nu rasé par un halo de lumière intermittente. Sans contact direct les uns avec les autres, les interprètes, assis, allongés, comme murés dans une ineffable solitude, donnent pourtant à vivre l’expérience d’une belle communion. La performance chorale qui s’appuie sur de réels témoignages donne la primauté à la parole et à la présence. Les acteurs sont, selon le metteur en scène, «des dépositaires». Ils n’incarnent pas de personnages mais délivrent leurs histoires, leur message. Les voix éphémères s’élèvent puis s’effacent, donnant à entendre subrepticement d’édifiants fragments de vies qui s’entremêlent et se font écho. Les mots sont simples, souvent durs, parfois crus. Ils parviennent de manière délicate sans excès de pathos.
Originaires du Maghreb ou du Moyen-Orient, tous les êtres dont il est question ont pour point commun d’avoir connu l’oppression, la persécution, soit politique, soit religieuse, soit familiale. Certains ont même approché la mort pour la raison qu’ils sont homosexuels, et traités comme des criminels par des figures d’autorités condamnantes, excluantes. L’un est arrêté et torturé par une milice d’intégristes chiites, l’autre manque de se faire égorger par son propre père pour laver l’honneur de la lignée. S’impose alors le besoin de fuir, de s’exiler, pour s’assumer, se libérer. En Allemagne, en Grèce, ou ailleurs. Prendre la route, la mer, passer les frontières, les checkpoints, traverser les zones dangereusement contrôlées par les fanatiques.
Olivier Py a souhaité mettre au cœur d’un festival militant la question du genre et faire de cette 72e édition un espace de parole et d’écoute, pour celles et ceux dont l’identité est une quête, une lutte, vitales. L’artiste franco-iranien Gurshad Shaheman qui se fait une spécialité de faire du plateau un espace très personnel, passe de sa trilogie en solo Pourama Pourama à une forme beaucoup plus large. Il saisit l’intime, dit l’amour, la guerre, le désir, la douleur avec une brûlante intensité.
Vers la fin de la pièce est mentionné un homme, marié et père, qui a fait tatouer sur son bras le nom de son amoureux, Mohammad, et ajouté, non sans une tendre ironie, «au moins pourra-t-il toujours dire que c’est pour l’amour du prophète». La phrase donne son titre à ce beau spectacle, qui à la lumière d’une franche humanité, déploie l’art et la manière de faire entendre sobrement mais puissamment une parole capitale.
Photo : © Christophe Raynaud de Lage
Au Gymnase du Lycée Saint-Louis du 11 au 16 juillet.
Tous les articles de la rédaction à Avignon sont à retrouver ici.