![[Avignon Off] « Ô vous frères humains » : les voix d’Albert Cohen par Alain Timar](https://toutelaculture.com/wp-content/uploads/2014/07/ovfh-®-Manuel-Pascual_WEB-620x413.jpg)
[Avignon Off] « Ô vous frères humains » : les voix d’Albert Cohen par Alain Timar
C’est une anecdote acide, même pas un fait divers. Une phrase qui pue comme la pire des merdes et dont l’odeur vous poursuit jusqu’à la tombe : “Sale juif”. Albert Cohen se reçoit la bouse en pleine face, il a 10 ans. Cet excrément-là fut suivi de centaines d’autres mots pires encore. En 1972, Albert Cohen a 77 ans, et il fait du “jour de la haine découverte”, un chef d’œuvre, Ô vous frères humains qu’Alain Timar met aujourd’hui en scène.
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Comment traduire un texte qui n’est pas théâtral en théâtre ? Comment rendre accessible ce texte ? En garder son écriture entre témoignage et tribune ? Le metteur en scène Alain Timar est à la tête du Théâtre des Halles depuis 1983 et le lieu fonctionne “à l’année”. Il y interroge de façon permanente les identités blessées. Il s’est ici associé à la chorégraphe Danielle Paume pour donner du corps aux mots.
Ils seront trois, et il faut bien ça pour arriver à la cheville de monsieur Albert. Car, quand même, Ô vous frères humains arrive après Solal, Mangeclous, Le livre de ma mère, Belle du seigneur. Un monument, il s’agit de s’attaquer à un monument. Pour faire cela, il faut de l’intelligence et ici il y a en beaucoup. Il ne fallait pas attaquer le texte de face, non.
Paul Camus, Gilbert Laumord et Issam Rachyq-Ahrad sont un seul Albert Cohen, cet homme de 77 ans qui relit l’épisode tragique du jour de ses 10 ans à l’aune de l’approche de la mort. Trois comédiens black-blanc-beur pour dire l’universalité de l’histoire de ce petit juif.
Si ils sont trois, il n’y a pas pour autant de dialogue. C’est un seul fil qui est tissé dans un décor fait d’un panneau à trois battants, sur lequel est apposé une tapisserie d’un autre age. C’est bien un monologue à trois voix qui se succèdent, parfois se chevauchent. Elle viennent dire et redire : “ne pas haïr importe plus que l’amour du prochain”.
Rien de grave finalement. A 10 ans, le petit Albert a rencontré l’antisémitisme dans sa version brute et non teintée d’intellectualisme. Il a découvert que l’autre pouvait vous haïr juste parce-que vous n’étiez pas le même que lui. Rien de grave. Albert Cohen le dit “on a fait mieux après”. Et l’on rit, on rit comme on rit à l’écoute d’une blague juive, on rit pour ne pas pleurer. On déteste ce camelot abruti qui a déversé son fiel sur ce minot marseillais comme une annonce du Génocide à venir.
Mais la roue tourne, la vie passe. Le trio garde des étincelles dans les yeux. Les comédiens virevoltent et apportent à ce texte l’ironie, la distance nécessaire. La fanfare joue encore, et Albert Cohen n’est pas vraiment mort.
Visuel : ® Manuel Pascual