Théâtre
AVIGNON OFF 2022 : Quand le châtiment de Sisyphe prendra-t-il fin ?

AVIGNON OFF 2022 : Quand le châtiment de Sisyphe prendra-t-il fin ?

25 July 2022 | PAR Magali Sautreuil

Le mythe de Sisyphe est né il y a fort lontemps, durant l’Antiquité grecque, et, depuis lors, perdure à travers les âges. Cette histoire intemporelle, d’un homme condamné pour l’éternité à vivre misérablement, résonne terriblement avec notre société contemporaine. Frappée par l’actualité de ce récit, la compagnie Le nez au milieu du village nous invite à nous interroger sur la condition et l’avenir des Sisyphes, à la Scala Provence, durant le festival OFF d’Avignon.

Dans un décor minimaliste et minéral, rappelant la punition divine de Sisyphe, trois personnages nous retracent l’immuabilité de son châtiment, à travers le temps et l’espace, depuis l’Antiquité grecque. 

Le Sisyphe originel apparaît dans les poèmes d’Homère comme le plus astucieux des hommes. Ce grand navigateur et commerçant s’est malencontreusement montré imprudent et trop sûr de lui, provoquant ainsi la colère des dieux. Ces derniers le condamnèrent donc pour l’éternité à effectuer inlassablement la même besogne inutile et dénuée de sens, à savoir, porter au sommet d’une montagne un énorme rocher et, une fois le sommet atteint, assister, impuissant, à sa chute.

Depuis lors, Sisyphe incarne pour certains à la fois les malheurs de l’être humain et sa fureur de vivre, malgré l’absurdité de la vie. En effet, conscient de sa misérable condition, Sisyphe ne s’abandonne cependant point au désespoir et ne cherche pas à mettre fin à ses jours. Au contraire, sa punition divine symbolise son combat éternel contre les dieux et l’injustice.

Du mythe d’origine, la pièce a conservé son essence et sa structure antique, composée notamment d’un prologue et d’un épilogue.

L’histoire qui nous est contée n’est pas celle du Sisyphe grec, mais en partie la nôtre… Elle est celle de tous ces invisibles, que nous ne ne voyons pas et que nous n’entendons pas, celle de toutes ces personnes qui vivent humblement, de génération en génération, sans autre perspective que celle de survivre… Toutes ces personnes sont des Sisyphes, des messieurs et des mesdames S., qui, quand ils viennent à disparaître, sont inlassablement remplacés par une autre victime du destin.

Pour montrer la permanence et l’universalité du châtiment de Sisyphe à travers les âges, la mise en scène joue sur la collision temporelle entre les époques et ose l’anachronisme. Puisque tout n’est qu’une question de perspectives, ne vous étonnez donc pas si vous voyez un prêtre utiliser un enregistrement pour son sermon, un seigneur du Moyen Âge évaluer le besoin d’assistance d’un de ses paysans à l’aide d’un questionnaire sur tablette numérique ou un livreur Deliveroo vivant comme un tâcheron du XIXe siècle… Quelle que soit l’époque à laquelle ils vivent, M. et Mme S. portent toujours la même tenue, le même t-shirt, les mêmes baskets…, alors que celles et ceux qui incarnent la classe dominante arborent des costumes toujours plus somptueux, symboles de leur statut et de leur pouvoir.

Ces anachronismes volontaires, ainsi que le contraste entre la condition des Sisyphes et celle des autres, ne créent point de confusion dans l’esprit du spectateur, mais, au contraire, soulignent la répétition de mécanimes socio-politiques à travers le temps.

Afin de perpétuer ce système, basé sur l’exploitation et la déshumanisation de certaines catégories de personnes, de nouveaux concepts ont été inventés, tels que la méritocratie, le goût de l’effort et du travail, la fragilité du marché, la concurrence… Mais nous ne vivons pas d’espoir. Notre société est frappée d’immobilisme, comme l’ascenseur, dans la pièce, qui reste coincé au rez-de-chaussée.

Dans ces conditions, pouvons-nous un jour imaginer Sisyphe heureux ? Étrangement, oui, car la vie est aussi faite de petits moments de bonheur, de complicité, de tendresse… comme nous le démontre, à sa manière, chaque Sisyphe.

Et même si nous ne vivons pas d’espoir, il en faut un peu pour oser braver le destin et s’affranchir définitivement du châtiment de Sisyphe, qui frappe des milliers et des milliers de personnes chaque année, depuis des temps lointains. 

Et vous, si vous étiez M. ou Mme S., ou dans la position inverse, que feriez-vous ? Avant de répondre à cette question, un petit conseil : rendez-vous à la Scala Provence pour vous imprégner du mythe de Sisyphe, revisité avec lucidité, humour et poésie comme une satire, par la compagnie Le nez au milieu du village

Sisyphes, une pièce écrite et mise en scène par Florian Pâque, interprétée par Florian Pâque, Loelia Salvador et Nicolas Schmitt, présentée du 8 au 30 juillet 2022, à 15 h 25, à la Scala Provence, salle Scala 100, dans le cadre du festival OFF d’Avignon. Relâche le 18 juillet 2022. Durée : 1 h 15.

Retrouvez l’actualité de la compagnie Le nez au milieu du village sur son site Internet (ici), sur sa page Facebook (ici) et sur son compte Instagram (ici).

Découvrez la programmation de la Scala Provence dans le cadre du festival OFF d’Avignon 2022 ici

Retrouvez, ici, tous les articles de la Rédaction de Toute la Culture dans un dossier spécial festival d’Avignon.

Visuels : Affiche et photos, tous droits réservés à la compagnie Le nez au milieu du visage.

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Magali Sautreuil
Formée à l'École du Louvre, j'éprouve un amour sans bornes pour le patrimoine culturel. Curieuse de nature et véritable "touche-à-tout", je suis une passionnée qui aimerait embrasser toutes les sphères de la connaissance et toutes les facettes de la Culture. Malgré mon hyperactivité, je n'aurais jamais assez d'une vie pour tout connaître, mais je souhaite néanmoins partager mes découvertes avec vous !

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