Théâtre
Au TNS, What the fuck Europe

Au TNS, What the fuck Europe

19 January 2019 | PAR Christophe Candoni

L’auteur et metteur en scène allemand Falk Richter réunit sur la scène du Théâtre National de Strasbourg huit jeunes acteurs européens survoltés qui proposent une remise en cause vivifiante et véhémente de l’Europe aujourd’hui.

« Je ne suis pas une utopie, je suis une réalité » disait l’Europe dans Je suis Fassbinder de Falk Richter. Une réalité multiple, formidable, contestable, contestée, troublée, déchirée. Dans I am Europe, cette réalité s’affirme avec force à travers les portraits intimes auxquels se livrent de jeunes interprètes engagés. Ils s’appellent Lana Baric, Charline Ben Larbi, Gabriel Da Costa, Mehdi Djaadi, Khadija El Kharraz Alami, Douglas Grauwels, Piersten Leirom et Tatjana Pessoa. Ils ont entre vingt et trente-cinq ans, sont de pays, d’origines, de langues, de confessions religieuses, d’identités sexuelles, différentes. Chacun d’entre eux prête son corps et sa voix à une Europe éminemment multiculturelle mais qui assume mal sa diversité perpétuellement menacée par les extrêmismes et les nationalismes qui resurgissent avec fracas. Ils se sont rencontrés en 2014 et 2015 à la Biennale de Venise puis à Madrid, à Tel Aviv, à Paris, ailleurs. Ils constituent une troupe joliment bigarrée, aux parcours personnels riches de sens, et aux idées multiples, sont ouverts à la rencontre et aux débats. Ils ont constitués au cours d’ateliers d’écriture et d’improvisation sous la houlette de Falk Richter et de son équipe artistique, un matériau dramatique très conséquent. Il est question dans leur prises de paroles intempestives des bouleversements politiques et existentiels qui traversent l’Europe et l’humain. Leurs récits de vies invitent à regarder et questionner l’Europe du point de vue de l’individu.

Depuis Das System, Rausch, Small town Boy ou bien le plus récent Fear, spectacle berlinois très contesté et confronté à une volonté de censure politique, Falk Richter demeure le signataire d’un théâtre toujours engagé, concernant et concerné. Il ne cesse de porter au plateau un état du monde où s’affirment dans l’adversité mais en totale liberté les thèmes de la différence et de l’identité. Prenant pour cible d’une manière hyperfrontale l’extrême-droite et ses idées, mais aussi plus largement l’aberration qu’est la politique aujourd’hui en se référant directement à l’actualité – des écrans surplombent l’espace un brin sauvage et font défiler des images d’informations en continu – ce théâtre interpelle, revendique, réclame, outrage, avec provocation et empathie.

Chahutés, tourneboulés, les corps s’adjoignent au mots avec exaltation et entrent en résistance avec la tournure que prend le monde et les événements qui l’agitent. Avec de simples drapeaux argentés et des barricades de fortune, les acteurs renvoient aux manifestations urbaines et discutent de l’intérêt ou non des actions des Gilets jaunes. Ils anticipent l’arrivée au pouvoir des fascistes et préparent à l’après-catastrophe. D’une manière plus légère, ils se permettent de cultiver et jouer avec certains clichés. Avec jubilation, tous se retrouvent en mini-short à se trémousser sur J’aime la vie, titre improbable qui a permis à Sandra Kim de faire gagner la Belgique au concours de l’Eurovision en 1986.

Il y a beaucoup de chaos, de désordre, dans cette proposition foutraque. En dépit de l’aspect parfois trop éclaté ou survolé de son propos, le discours produit est à la fois rassembleur et révolté. I am Europe ne manque en tout cas pas de points de vue lucides et éclairés. Il est un formidable capteur, catalyseur, de notre contemporanéité.

Infos pratiques

La Méridienne
L’Illiade
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