Théâtre
“Ala tè sunogo” : Dieu ne dort pas au Grand Parquet

“Ala tè sunogo” : Dieu ne dort pas au Grand Parquet

16 May 2013 | PAR Camille Hispard

13-04-23 • 309

Ala tè sunogo au Grand Parquet incarne le spectacle vivant dans ce qu’il a de plus pur et de plus expressif : une fable contemporaine qui vogue sur les rives d’un Mali en pleine mutation.

En attendant sur le parquet patiné aux rayures vagabondes de cette sorte de roulotte théâtrale, on entend au loin les comédiens s’échauffer. Ils poussent des cris guerriers comme pour harmoniser leurs énergies dans une puissante exhortation qui résonne peu à peu dans les murs du Grand Parquet.

Sur le plateau, une guirlande façon ginguette avec une inscription : Kotèso. Il s’agit d’un centre culturel fondé par Cheikna (Sidy Soumaoro), un jeune entrepreneur malien plein d’espoir et de projets qu’il tente de réaliser avec foi, malgré les affres de l’administration malienne. Cheikna se lave les mains obsessionnellement dans sa petite bassine comme on se lave d’un passé qui revient inlassablement. Véritablement harcelé par un fonctionnaire représentant l’Etat malien dans ce qu’il a de plus sombre, il se bat pour faire exister ses rêves, coûte que coûte, refusant la corruption et l’avilissement qui appartiennent aux méthodes du vieux Mali. Ce fonctionnaire diabolique et vicieux (Adama Bagayoko) incarne un Etat malien surpuissant qui tente d’étouffer ses énergies neuves et fructueuses pour faire perdurer un régime oligarchique qui se partage le gâteau. « Je suis l’état malien, sortez de mon bureau […] L’état malien est partout chez lui. »

Selon lui, un vrai fonctionnaire du Mali est un tire-au-flanc, un profiteur, un menteur et par-dessus tout, un obsédé. Cheikna subsiste contre le courant destructeur de ces idées qui lui semble démodées et archaïques.

Dans cette lutte contre l’enlisement de l’Etat malien, Al tè Sunogo raconte aussi l’histoire bouleversante de Solo, un jeune muet des rues qui ne parle qu’en dansant. Il s’exprime par le corps en le contorsionnant dans une transe africaine puissante. Souleymane Sanogo déploie ses muscles saillants sur la scène du Grand Parquet, offrant aux spectateurs un vent de liberté incroyablement rafraîchissant  Il danse comme il vibre, comme il tremble, comme une respiration urgente et tragique à la fois. Solo croise la route de Goundo (Alimata Baldé) une jeune fille séduite et intriguée par la singularité de cette étrange âme errante. Goundo se sent proche de lui malgré son handicap, elle comprend son être et ce qu’il veut dire des choses : « Ce que dit ton cœur, c’est comme si je le lisais […] Pourquoi ai-je peur des mots que ton âme imprime dans la mienne ? » De là, se dessine une sorte de parade amoureuse langoureuse et pudique qui unira les deux  protagonistes.

Cette fable satyrique emporte le public à travers des rebondissements burlesques sur fond de crise sociale. Ala tè sunogo nous fait voyager sur les routes abîmées mais lumineuses d’un Mali qui construit son histoire, portant une volonté d’un renouveau socio-politique. A mi-chemin entre tradition et modernisme, cette pièce nous amène à croiser des personnages touchants et hauts en couleur tels que Mademoiselle Jugu, une secrétaire travestie sous les traits d’Adama Bagayoko et totalement hilarante dans son inefficacité kafkaïenne, ou encore Super-Bougou (Diarrah Sanogo), sorte de marabout kitschissime aux grigris déglingués.Blonba

Ala tè sunogo reprend la tradition des farces burlesques sous forme de satyres sociales appelées kotèba, jouées dans les années 80 par les comédiens du théâtre National du Mali. On retrouve dans la spontanéité du jeu des acteurs et dans l’immédiateté du propos, un esprit similaire aux pièces de Molière. On se croirait sur une place de village à participer à une création dans le mouvement. Une énergie bordélique se dégage de cette soirée laissant l’empreinte d’une fougue très émouvante. Ala tè sunogo, ça part dans tous les sens et ça traduit une joie de vivre et une envie plus forte que tout de transcender le Mali, de le sublimer.

La pièce se termine par un rap enflammé avec Sidy Soumaoro au micro qui embarque les spectateurs dans un flot rapide, lâché dans le vif, comme on crache quelque chose qui nous ronge. « Nous ne dormons pas », clame-il avec une vague d’espoir déterminée.

La création de cette pièce comme un grand témoin de l’Histoire a été interrompue suite au coup d’Etat du 22 mars 2012 qui scellait des mutations maliennes irréversibles dans un climat de crise générale. Qu’en sera-il de l’avenir du Mali ? Ce qui est certain, c’est que cette  pièce témoigne des talents explosifs et nombreux, présents sur ces terres qui ne demandent qu’à s’exprimer et à construire leur histoire.

Le public part rejoindre les comédiens sur scène pour entamer une danse joyeuse et fédératrice autour de ce rap profond, aux allures de chant onirique et tribal.

Ala tè sunoro de Jean-Louis Sagot-Duvauroux, mis en scène par Jean-Louis Sagot-Duvauroux et Ndji Traoré, avec Adama Bagayoko, Alimata Baldé, Diarrah Sanogo, Souleymane Sanogo et Sidy Soumaoro.

Visuel (c) : Photos Gilles Perrin

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