
Une madeleine qui manque de saveur au théâtre de la Ville
Sur les planches de l’espace Cardin et sous un titre emprunté à Saint-Simon, Charles Tordjman (re)met en scène des fragments proustiens qui manquent de caractère. Je poussais donc le temps avec l’épaule I est une pièce qui souffre d’une mise en scène minimaliste et qui appréhende l’affrontement avec un monument sacré, à moins qu’elle ne se repose sur l’autonomie d’un texte auquel le public est déjà conquis.
La scène semble avoir été emballée par les Christo : une trouée sur un fond blanc, qui donne l’impression d’être tombé au fond d’un livre. Elle se teintera de toutes les nuances du spectre solaire au cours de l’heure de spectacle. Une mise en scène dépouillée qui contient tout un programme : neutraliser la représentation pour donner voix au texte seul. Tout concorde à faire disparaître Serge Maggiani pour le réduire à une simple performance vocale. Mais cette voix hélas n’est pas particulièrement vibrante : désincarnée, monocorde, elle est comme volontairement aplatie pour porter le texte. L’intonation du narrateur jeune agace par sa naïveté. Quant à la musique qui éclate de temps à autre, elle est utilisée uniquement pour passer artificiellement d’un « acte » à l’autre.
Pendant les dix premières minutes, on attend impatiemment que la lecture finisse pour entrer dans le théâtre. Ce moment n’arrive jamais. Le texte de la Recherche est-il trop riche pour être scénarisé ? Où est le jeu d’acteur ? Serge Maggiani, hiératique sur fond de silence, récite mais ne joue pas. Il n’occupe que trois positions : immobile à gauche, immobile à droite, assis à droite. Heureusement que de temps en temps, les passages choisis se chargent avec humour de nous rappeler que l’on est au théâtre : « Mon effroi était que Françoise […] refusât de porter mon mot. Je me doutais que pour elle, faire une commission à ma mère quand il y avait du monde lui paraîtrait aussi impossible que pour le portier d’un théâtre de remettre une lettre à un acteur pendant qu’il est en scène. »
On salue l’effort de mémorisation, et la capacité de Serge Maggiani à rendre parfaitement intelligibles, sans un heurt, des phrases souvent très longues. Mais impossible de se départir d’une sensation d’ennui, d’autant plus que les extraits choisis pâtissent de leur manque d’originalité : la scène s’ouvre sur la première page du Côté de chez Swann, et vous n’échapperez pas au passage de la madeleine réminiscente et à la scène du coucher et du baiser manqué de la mère. Quitte à ne rien inventer, pourquoi n’avoir pas pioché des passages moins canoniques ? Bien que le plaisir d’entendre des pages de la Recherche nous sauve de la lassitude complète, on regrette cette lecture anthologique et classique d’un texte auquel le metteur en scène n’ose pas toucher.
Je poussais donc le temps avec l’épaule – Marcel Proust / Charles Tordjman / Serge Maggiani
Théâtre de la Ville – espace Cardin
Visuels : © Laurencine Lot
Infos pratiques
One thought on “Une madeleine qui manque de saveur au théâtre de la Ville”
Commentaire(s)
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Lambert Isabelle
Critique bien écrite, reflet du spectacle. Bravo!