« On a volé le bras de Costentenus », histoire sans fil et plaisir des yeux
Les créations et les créatures d’Anne et Julien, que ce soit au travers de la revue Hey !, du festival Hey ! oh let’s go, de l’exposition Tatoueurs, tatoués au Musée du Quai Branly, ou encore de Hey ! La compagnie, sont toujours l’occasion de faire dialoguer une esthétique pointue, underground, populaire, avec une grande liberté créative. Le spectacle On a volé le bars de Costentenus, hommage aux « grands tatoués », n’échappe pas à la règle, même si on a finalement le sentiment que l’immense maîtrise esthétique a un peu nuit à la narration.
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En allant voir On a volé le bras de Costentenus, dont la trame est inspirée par l’histoire de l’artiste tatoué du même nom qui officiait dans les foires et les cirques au XIXème siècle, le spectateur doit avoir une idée claire de ce qui l’attend. Il ne s’agit pas tant de cirque, même nouveau ou contemporain, ou de théâtre, bien qu’il y ait de l’un comme de l’autre, que de cabaret-performance, au sens d’acte artistique immersif et engageant, tourné vers une esthétique et un univers bien particulier. Qui viendrait chercher avant tout des numéros de cirque serait déçu, même si le numéro de mât chinois d’Alba Faivre en ouverture du spectacle est impressionnant de maîtrise et de grâce. Qui viendrait chercher une histoire linéaire, peut-être même une intrigue policière, invité en cela par le titre, serait également déçu, même si Mr Djub, en Monsieur Loyal inquiétant, nous distille d’intéressants morceaux de la grande histoire du tatouage en occident.
On a volé le bras de Costentenus, c’est surtout une double réussite visuelle et sonore. Au plan visuel, les trouvailles sont trop nombreuses pour qu’on les énumère toutes, mais l’usage d’un projecteur autorise des jeux extrêmement réussis, alternant avec des mises en lumières subtiles. Les gravures utilisées dans les projections sont superbes, le Vjing délicat et poétique de Sarah Brown, les jeux d’ombre et de superposition sont confondants de beauté. La scénographie même est une réussite, malgré la présence du projecteur en plein plateau, ce qui perturbe un peu la vue : l’espace scénique est découpé par un groupe de gramophones à jardin et des orgues de barbarie à cour, la mise en lumière est très belle, les personnages se croisent dans un ballet efficace et bien réglé. Au plan sonore, l’alternance entre, justement, gramophones et orgues de barbarie se fait sans heurts, la musique est un régal pour les spectateurs, et insuffle une atmosphère très particulière à ce Music-Hall. Mention spéciale est due ici à Antoine Bitran, qui transpose des airs connus, plus ou moins contemporains, sur ses orgues de barbarie : reprendre Carmina Burana sur cet instrument, il fallait oser !
Inventivité, audace, avec une cohérence d’ensemble étonnante au vu des éléments très disparates : vraiment, une grande réussite.
Le bémol pourrait venir du manque de structure narrative. Le spectacle se fait parfois lent et contemplatif, il assemble bout-à-bout des éléments individuellement très réussis mais parfois un peu disparates, et, pour un spectateur qui ne serait pas complètement immergé dans l’esthétique et l’atmosphère de ce cabaret étrange, l’absence de tension dramatique, le manque de clarté du dénouement à attendre, peuvent dérouter.
Heureusement, les très beaux numéros de Lalla Morte, même s’ils ont tendance à se répéter quelque peu de spectacle en spectacle, et les danses envoûtantes de Yannick Unfricht, qui confinent parfois au chamanisme lorsqu’il coiffe son masque surmonté de bois de cervidé, captivent suffisamment pour que l’attention ne se dilue jamais bien longtemps.
En somme, un spectacle-performance à voir et à écouter, une sorte de visite au musée qui ne demande pas à se lever de son banc, un voyage fascinant et parfois onirique au travers d’une vision des origines du tatouage moderne.
Au Cirque Electrique jusqu’au 1er novembre. A ne pas manquer : le Festival Hey ! Oh, let’s go, du 30 octobre au 1er novembre, là aussi au Cirque Electrique, compagnon de route de longue date de Hey !.
Gramophones, performances, écriture : Rosita Warlaock & Mr Djub
Néo Buto : Yannick Unfricht
Nouveau cirque : Lalla Morte
Vjing, performance : Sarah Brown
Orgues de barbarie : Antoine Bitran
Mât chinois : Alba Faivre
Lumière et scénographie : Bruno Teutsch
Sonorisation : Ilan Sberro
Motion Design : BatManu
Gravure : Frédéric Voisin
Créations musicales pour orgues de barbarie : Laurent Brusetti
Production, diffusion : Domino Ducruet
Visuels : © Hervé Photograff