“Dans la république du bonheur” de Martin Crimp aux Subsistances de Lyon
Est-ce que nous n’avons pas tous le droit au bonheur ? Est-ce que nous ne sommes pas tous libres d’être heureux ? N’ai-je pas le droit de décider de tout ? C’est quoi le bonheur déjà ? Ce à quoi tout et tous ici aspirent ? Le magnifique texte de Martin Crimp, tantôt glaçant, tantôt grinçant, est porté par une mise en scène qui, à son image, prend des risques. Alors que la dernière a lieu ce soir aux Subsistances à Lyon, “Dans la république du Bonheur”, mis en scène par Marcial Di Fonzo Bo & Elise Vigier sera repris à la rentrée au Théâtre National de Chaillot.
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Ça commence comme un vaudeville dans un intérieur tranquille. C’est Noël, toute la famille est à table. On ne s’écoute pas, on a juste besoin de parler. Chacun s’affirme, se découvre, dans une série de monologues border-line au sein de ce décor bien lisse. Et puis arrive l’oncle Bob. Bob est tellement vivant, tellement venu d’ailleurs qu’on l’écoute. Bob attaque ce qu’il sait être un faux bonheur. Il tranche et fracasse de ses mots l’intérieur bourgeois. Ça va péter. Dans la salle, on attend que ça pète, on veut que ça pète.
Et enfin, ça pète. Le décor explose et la vision se diffracte. D’abord à cause de ce grand miroir en fond de scène. Un peu trouble, bien loin du lisse du salon qui a disparu, il nous montre le dos des acteurs. Les personnages se sont évaporés, il ne reste plus que les comédiens. Ils chantent, ils courent, ils dansent. Leurs corps changent sans cesse, leurs voix empruntent à d’autres et résonnent toujours différemment. Dans le grand miroir, les scènes se succèdent. La liberté de penser, la liberté d’être, la liberté de souffrir, d’être heureux, de faire ce que l’on veut.
Et puis c’est dans les mots que la vision offerte au spectateur se diffracte. Le texte de Martin Crimp joue avec les opinions et les idées toutes faites. Elles sont exhibées, creusées jusqu’à ne plus avoir de sens. Plus rien ne semble avoir de sens. Les personnages n’en sont plus, il n’y a plus d’histoire, les chansons de comédie musicale suivent les discours absurdes et les témoignages loufoques. Et pourtant, on entend des échos à la première scène dans le salon. Et pourtant, le rire des spectateurs se fait attendre et semble hésiter parfois : ce bonheur dont je ris, c’est peut-être le mien ?
Car une image échappe à la diffraction, reste inscrite dans la rétine du spectateur. En fond de scène, le miroir est toujours là et le spectateur se voit vaguement, dans le lointain et le trouble. Au delà de la scène, la République du Bonheur, elle existe.
Pas de caricature, pas de pathétique non plus. Dans le mélange des formes, dans la richesse des propositions, les deux metteurs en scène assument la modernité et éclectisme de leur travail, pour rendre audibles les questions que nous pose Martin Crimp sur notre société. La mise en scène a su se faire à l’image du texte qu’elle porte, dans la justesse et sans jugement. Les images et les perspectives varient sans cesse sur le plateau quasiment nu et dans le texte comme à la scène, c’est à un questionnement que l’on assiste, à une réflexion. Une réflexion sur notre république du bonheur.
Dans la république du bonheur de Martin Crimp, mise en scène : Marcial Di Fonzo Bo & Elise Vigier, dramaturgie : Leslie Kaplan, avec : Katell Daunis, Claude Degliame, Marcial Di Fonzo Bo, Kathleen Dol, Frédérique Loliée, Pierre Maillet, Jean-François Perrier, Julie Teuf, Théâtre des Lucioles.
visuel : capture d’écran
Lucie Skouratko