Performance

Au croisement du Zèbre et de la Poussière, revue queer et ambiance électrique

05 February 2019 | PAR Mathieu Dochtermann

Deux fois par mois, Le Zèbre à Belleville accueille dans son bel écrin une revue joyeusement queer, le Cabaret de Poussière. Réunis autour de Martin Dust, les numéros peuvent relever du burlesque, du tour de chant, de la performance circassienne, tant qu’ils répondent à une certaine exigence de liberté, de poésie et d’affirmation. Une atmosphère singulière et tolérante, un public conquis, des places qui se vendent en un éclair du fait de la réputation montante du spectacle : un rendez-vous à explorer !

C’est le genre d’endroits où, quand on dit « Mesdames et Messieurs ! », on dit aussitôt « Mes non binaires ! »

A celleux qui déplorent que toute préoccupation pour la chose politique semble s’être absentée d’une grande partie du monde du spectacle, qui, insensiblement, cède aux sirènes de l’entertainment, on peut répondre : « Allez vous faire soigner au Zèbre ! »

Car le Cabaret de Poussière, en totale contradiction avec son nom, est tout sauf poussiéreux. On y empêche au contraire la momification du burlesque et du cabaret en une vieille chose qui pailletée et vaguement divertissante – car il ne faut pas s’y tromper, certains des shows les plus glamour sont aussi les plus proches de la mort cérébrale.

Du cabaret, on reprend non l’idée de dîner en bord de piste, mais celui de l’enchaînement de numéros sur une scène, la variété des arts représentés, la dimension chaleureuse et inclusive, l’espace libéré de la contrainte des normes sociales. Il en résulte une revue haute en couleurs, par moments clairement revendicative, parfois sexy, souvent provocante, et qui ne prend globalement pas de pincettes avec les assignations de genre ni avec le patriarcat.

Cela réussit assez merveilleusement pour deux raisons.

La première, la qualité des numéros : les artistes sont charismatiques, excellents dans leur partie, expérimentés, et parfaitement avec le ton de la soirée. On trouvait, ce soir de février, une forte dominante de chanson, brassant plutôt large, puisque le hip-hop très américain de Liza Monet voisinait avec des compositions beaucoup moins syncopées – mais pas beaucoup moins virulentes – de Martin Dust. Mais il y avait également des numéros beaucoup plus orientés du côté du burlesque, avec notamment la très charismatique Soa de Muse, ou un strip-tease contorsionniste très physique proposé par Séverine Bellini. Et des numéros clairement orientés vers le cirque : en plus de la contorsion juste évoquée, Séverine Bellini s’attaquait ici à un agrès nouveau pour elle, le trapèze, et y offrait un passage tout-à-fait gracieux, à la fois un peu technique et très sensuel.

La seconde : l’ambiance. Martin Dust n’y est pas pour rien, qui officie en Maître de cérémonie, vanne, chante, se démène pour préserver le rythme et la bonne humeur. Et la salle du Zèbre de Belleville, de petit volume mais haute de plafond, avec ses boiseries et son décor chaleureux, déploie une atmosphère accueillante. Mais, au-delà même de ces éléments, il y a une chaleur, une proximité, une familiarité bienveillante qui se répand largement chez les participants, ravis de se retrouver là, parfaitement conscients de partager des luttes, des questionnements, des communautés d’intérêts qui les aident à se sentir proches. Inutile de dire que l’homophobie et la transphobie, comme le racisme, n’ont aucune voix au chapitre ici.

Du coup, l’expérience est aussi sociale, au-delà du spectacle. On se retrouve sur le trottoir ou autour du petit bar. On discute longtemps après la fin du show. Les artistes se mêlent à la foule. Cette proximité, cette simplicité, se retrouvent en fait sur scène : on sent que le show, loin d’être une machine rodée, est un work in progress permanent, un lieu où des artistes qui se connaissent et s’estiment travaillent ensemble pour faire le spectacle qui leur fait plaisir, et l’offrent en même temps au public. Un côté un peu famille, un peu do it yourself, une gentille anarchie qui empêche la revue de sombrer dans une facilité strass-paillettes de pacotille, et la maintien un peu dans une urgence qui lui donne sa fraîcheur, sa spontanéité.

Bricolage, bonne humeur et liberté, dans un fourreau de queer. Peut-être la formule résume-t-elle le mieux ce qu’est le Cabaret de Poussière.

A découvrir ! Tous les premier mardi et mercredi du mois, au Zèbre (Paris XXe).

 

Visuel: (c) Mickaël Fidjili

Infos pratiques

Institut du Monde Arabe – IMA
Galerie Olivier Waltman
Martin-Cecile

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