Une Tosca classique par David Bobée à l’Opéra de Rouen
Après le succès de La Nonne Sanglante à l’Opéra Comique (2018), David Bobée met en scène pour l’Opéra de Rouen voisin du CDN qu’il dirige, une Tosca à l’affiche alléchante : la soprano américaine Latonia Moore dans le rôle-titre et le ténor italien Andrea Carè en Mario. Une version de l’opéra de Puccini qui se veut “engagée” mais où triomphe, toujours aussi tragiquement, l’amour.
Le peintre Mario Cavaradossi (Andrea Carè, saisissant dès son premier air “Recondita Armonia”) cache dans l’église où il travaille le résistant Cesare Angelotti. Il protège aussi son réfugié de sa jalouse compagne, la cantatrice Foria Tosca (Latonia Moore). Mais très vite les hommes du tyran de Rome, Scarpia (Kostas Smoriginas) viennent arrêter Mario. Ils le torturent pour savoir où est Angelotti. La question a lieu dans une salle voisine du dîner auquel Scarpia a convié Tosca. Elle finit par révéler la cachette du fugitif et la vie de Mario est en danger. Tandis qu’une marche sur Rome menace le pouvoir de Scarpia, l’horrible dictateur fait du chantage à Tosca : si elle lui cède ses faveurs, la vie de Mario sera sauve.
Pour cette Tosca assez joliment scénarisée en trois tableaux très différents (l’église, plus ouvrière que romaine, le banquet de pierre de Scarpia et Rome, “ville ouverte”, en ruines, avec un tombé de pierres magnifique), David Bobée dit s’être inspiré à la fois de Margaret Atwood et de Kirill Serebrennikov, pour donner à lire l’histoire comme celle de la lutte des artistes contre un pouvoir tyrannique qui les censure. Si le premier acte se tient non loin de ce projet, avec des peintures de Mario modernes qui sont brûlées dans un final très années 1930, et des artistes cools en tee-shirts et joggings s’opposant à des méchants sanglés en costards, très vite l’amour reprend le dessus … et c’est pour le mieux.
Dans le premier, comme dans le deuxième tableau, les personnages sont un peu perdus, peu dirigés sur un grand plateau, les beaux chœurs les encadrant à peine, habillés en nazis sexys. Alors que le duo du troisième acte est simplement beau, après un ballet d’âmes perdues dans les ruines, tant pis si la chute du haut du château disparait, pour laisser place à un fondu iconique dans l’écran.
Le programme annoncé comme politique n’est donc pas tout à fait tenu et c’est une Tosca classique que Bobée nous propose avec peut-être un petit twist du côté de Scarpia (Kostas Smoriginas tout en retenue) qui penche subtilement du côté gay et un autre… du côté des embrassades à pleine bouche, y compris entre Tosca et Scarpia (avant le vrai “baiser de Tosca”)… Le tyran menace autour de la grande table du banquet, le “Vissi d’arte” et le “E lucevan le stelle » se chantent en priant à genoux (avec un début allongé sur le flanc qui relève de la prouesse physique pour le premier)… Bref, tout est à sa place pour que l’amour triomphe et meure, au-delà de tous les programmes politiques.
Ce qui nous laisse le temps de déguster (notamment avec deux entractes pour rythmer), la direction claire de l’Orchestre de l’Opéra Rouen Normandie par le chef norvégien Eivind Gullberg-Jensen et les timbres des solistes. Puissante, belle actrice et avec un timbre parfait pour le rôle (elle l’a interprété en 2016 au New York City Opera et en 2018 à l’Opera Australia), Latonia Moore nous donne la chair de poule dans le “Vissi d’arte” et la douce voix d’Andrea Carè est une caresse.
Pour cette première lyrique soutenue par la Plateforme Normandie Lyrique et Symphonique porté par la Région Normandie et l’Etat, Tosca est donc sublimée, de manière plus classique que nous l’anticipions, dans cette production qui se poursuit jusqu’au 12 mars à Rouen.
Photos (c) Arnaud Bertereau