Opéra
Un “Re pastore” délicieusement interstellaire au Théâtre du Châtelet

Un “Re pastore” délicieusement interstellaire au Théâtre du Châtelet

23 January 2015 | PAR Yaël Hirsch

Deux ans après l’expérience décalée d’un Orlando Paladino de Haydn version manga, Jean-Christophe Spinosi reprend sa baguette baroque et Nicolas Buffe sa touche visuelle résolument “Pop” pour offrir en apesanteur les arias irrésistibles d’une des œuvres de jeunesse de Mozart : Il Re pastore. Un opéra qui fait office de cure de jouvence, porté par des voix irréprochables.

[rating=4]

Mozart a 19 ans quand il compose Il re Pastore (1775) pour le Prince-archevêque de Salzbourg. L’histoire est assez plate : Alors qu’Alexandre a défait le roi Straton au pays de Sidon (Liban), il cherche un successeur au trône et tombe sur un doux berger-philosophe, Aminta. Mais ce dernier va-t-il devoir renoncer à sa belle promise, Elisa, pour  régner? Pouvoir ou amour, l’opéra doit nous indiquer – avec le magnanime Alexandre- la voie de la sagesse.

Laissant de côté tout aspect politique qu’on aurait pu exploiter pour remettre cet opéra au goût du jour, Nicolas Buffe puise dans son fertile imaginaire lié à la Science-Fiction des années 1970 et aux jeux-vidéos japonais des années 1980 (Alexandre a un costume inspiré par le personnage de manga japonais X-OR). Il rajoute au passage un peu de son interstellaire, qui se branche bien au clavecin plus bouillant que tempéré de l’Ensemble Matheus. A la mise en scène, Olivier Fredj utilise toutes les dimensions qu’offre la scene. Dans la salle, lors de la première, le public est divisé : il y a les grands enfants qui babillent (un peu bruyamment et naïvement) et les puristes qui suffoquent à voix haute de voir Mozart modifié (ne même temps on les avait prévenus).

Finalement, le résultat n’apporte pas grand chose à l’oeuvre même ou à son interprétation, mais propose des moments de grande beauté (dans le premier acte, des envolées littérales des solistes dans les étoiles, et une montée en puissance avec un univers formidablement fou et des chorégraphies solides dans l’acte deux) et une énergie qui rend bien hommage à la jeunesse fructueuse de Mozart. Les costumes étonnent et détonnent et donnent envie de rentrer dans un monde délicieusement pop, coloré et pourtant, dans son côté geek, parfaitement rétro. Il y a du Jodorowski ou du Barbarella plus que du cyborg 2.0 dans cet univers où l’amour peut encore valoir plus que le pouvoir…

Enfin et surtout, la grande vertu de ce Re Pastore est de nous donner l’oeuvre de Mozart à entendre, pleinement (n’en déplaise aux mélomanes trop orthodoxes et offusqués) dans une production époustouflante, avec un Spinosi vibrant, un ensemble Matheus qui sait être vif mais aussi tendre (avec des élans presque romantiques dans l’aria parfaitement abouti de Aminta :”L’amero, saro costante”) et de toutes grandes voix. Grande, perchée et ultra-sexy et d’apparence et de couleur vocale, Raquel Camarinha impressionne en Elisa (et l’on (re)découvre le magnifique aria “Barbaro! O Dio me vedi” grâce à elle), dans le rôle du pasteur royal, Soraya Mafi monte en puissance tout au long de l’opéra et à la fois excellent acteur et chanteur, Rainer Trost donne une autorité non dénuée d’humour à son Alexandre monumental. Musicalement, tout commence légèrement, puis dans le deuxième acte, les arias s’enchaînent, de plus en plus poignants, jusqu’à susciter une vraie émotion. Pourquoi pas des atours pop et l’humour en plus pour se laisser encore et à nouveau séduire par Mozart? Il Re Pastore est un grand plaisir qu’il serait bien dommage de bouder…

visuel : affiche et Dessin préparatoire des costumes de Il re pastore, Aminta © Nicolas Buffe

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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