
Le Roi d’Ys à St-Etienne ou “le retour du Roi”
Du 4 au 8 mars, Le Roi d’Ys d’Edouard Lalo revient à l’Opéra de Saint-Etienne dans la mise en scène de Jean-Louis Pichon, une coproduction de 2007 avec l’Opéra royal de Wallonie déjà entendue à Lièges mais aussi à Marseille en 2014. Un DVD a également été enregistré par l’Opéra royal de Wallonie. On ne peut donc que se réjouir de ce retour qui permet de (re)découvrir cette production fort réussie.
Visuellement, le pari est hautement relevé par Jean-Louis PIchon, notamment grâce à un décor d’Alexandre Heyraud austère rappelant les rochers bretons sans jamais envahir de trop la scène, et grâce aux lumières de Michel Theuil qui offrent une atmosphère sombre, tragique, avec un jeu d’écho à l’eau, toujours sans basculer dans l’excès. Le tout permet de produire de superbes tableaux, comme le premier, à la fin de l’introduction, nous laissant voir les personnages immobiles, choeurs compris, aperçus grâce à des éclairs, prémices de l’eau qui sera finalement déversée.
La mise en scène de Jean-Louis Pichon ne va pas chercher plus compliqué qu’il ne faut et met l’oeuvre de Lalo au centre de son travail, ce qui est notable à l’heure où de nombreuses mises en scène servent avant tout de terrain pour les messages personnels de quelques metteurs en scène. L’atmosphère est minérale, aux lignes naturelles des rochers se joignent celles plus droites des décors du royaume en déclin, à l’image de son roi. Les costumes de Frédéric Pineau sont absolument superbes en plus d’être efficaces : verts pour le roi d’Ys et sa court, rouge pour Karnac et ses sanguinaires soldats. Pas de transposition inutile ou de contre-sens dans cette lecture, simplement le respect de l’oeuvre ainsi que le travail de sa lisibilité. La direction des interprètes suit ce même mouvement et se concentre sur le réalisme des personnages.
Côté voix, justement, l’ensemble manque peut-être globalement un peu de projection, sans pour autant être inaudible ou bien ne pas offrir de très beaux moments. Nicolas Courjal, qui tient le rôle du Roi d’Ys, est par ailleurs l’exception avec une ampleur de basse des plus appréciables, posant son personnage dès les premières notes, laissant entendre toute la noblesse qu’il convient pour ce roi. Régis Mengus pose un Karnac convaincant, fougueux et fier, de même qu’Aurélie Ligerot donne à voir et à entendre une très belle et tout à fait crédible Rozenn, lumineuse et emprunte de bonté. A ses côté, le jeune et séduisant Mylio interprété par Sébastien Guèze qui, il faut bien l’avouer, à la tête de l’emploi et le physique-type du jeune premier ou prince charmant. Le timbre du ténor est absolument superbe et velouté. Quel dommage de ne pas l’entendre davantage lors de certains passages! Enfin, Marie Kalinine est Margared, la malheureuse soeur qui, dévorée par la jalousie et la vengeance, sombre du “côté obscure” avant de se sacrifier dans un ultime geste de repentance. Le jeu est ici moins naturel que chez ses collègues, les médiums sont tout à fait stables mais manquent là aussi de projection, tandis que les graves donnent à entendre une belle teinte ambrée. Un autre point des plus plaisant : la diction est excellente pour l’ensemble des solistes, ce qui n’est pas le cas pour le Choeur lyrique Saint-Etienne Loire. Ce dernier offre par ailleurs une très belle musicalité et un très bon jeu ainsi qu’un beau développement des voix.
L’Orchestre Symphonique de Saint-Etienne est dirigé par le chef José-Luis Dominguez Mandragon qui dompte parfaitement cette partition dangereuse qui pourrait, telles les sirènes, mener les musiciens à leur perte en noyant dans ses notes, submergeant par là même les chanteurs. Point de cela ici : le chef redonne vie à ce Roi d’Ys, lâchant l’orchestre ou bien le retenant ce qu’il faut, toujours à l’écoute de la scène afin de conserver un bel équilibre et une belle harmonie.
Une belle réussite qu’on ne se lasse donc pas de voir. L’Opéra de Saint-Etienne aurait eu tort de se priver de ce “retour du Roi”!
©Jacques Croisier