![[Critique] Avec La Finta Giardiniera, le printemps s’invite à l’Opéra de Lille !](https://toutelaculture.com/wp-content/uploads/2014/03/20140313_fintagiardiniera_0371-1024x697.jpg)
[Critique] Avec La Finta Giardiniera, le printemps s’invite à l’Opéra de Lille !
Mozart avait 18 ans lorsqu’il a écrit La Finta Giardiniera : au regard de la précocité du jeune prodige, on ne peut plus parler ici d’œuvre de jeunesse, mais il ne s’agit pas non plus d’une œuvre de maturité à l’image de Don Giovanni, Les Noces de Figaro ou Cosi Fan Tutte. Cela explique peut-être pourquoi La Finta Giardiniera est moins donnée que ces œuvres magistrales du répertoire lyrique. David Lescot et Emmanuelle Haïm, encouragés par Caroline Sonrier, directrice de l’Opéra de Lille, ont voulu rendre à la Finta ce qui appartient à Mozart : impossible de ne pas se répéter, en sortant de cette production, qu’ils auraient eu tort de s’en priver.
Raconter l’intrigue de La Finta Giardiniera est un exercice difficile, et il n’est de toute façon pas très pertinent. Lors de la conférence de presse, David Lescot (mise en scène) et Emmanuelle Haïm (direction musicale) ne s’y sont pas risqués, et se sont contentés de la résumer ainsi : “une histoire de fou”. Une marquise déguisée en jardinière, une femme de chambre amoureuse de son maître, ce dernier amoureux de la jardinière (fausse, la jardinière – d’où le titre), un valet caché en jardinier amoureux de la femme de chambre, la nièce du barbon bien décidée à épouser une jeune comte qui, lui, court après la marquise… c’est bien l’amour qui est au centre de cet opéra, et si l’on comprend assez vite comment tout cela va finir, ce qui importe vraiment, c’est le chemin parcouru par chacun des personnages dans cet opéra bouffe qui cache aussi de beaux instants de noirceur.
La production proposée par David Lescot et Emmanuelle Haïm prend le parti de la fraîcheur et de la jeunesse, et cela fait plaisir à voir. Le personnage principal de l’opéra, c’est peut-être ici le jardin, qui envahit le plateau sous forme de fleurs et d’arbustes, de haies et de pelouse… des jardiniers vont et viennent au fur et à mesure que l’intrigue se noue et se dénoue, et le tournesol placé devant le cœur changeant du comte Belfiore ou la plante carnivore qui suit la vénéneuse Arminda ne semblent pas posés là par hasard… La forêt dans laquelle se perd Sandrina est plus vraie que nature – et le changement de scène entre les jardins du podestat et cette sombre forêt est ingénieux à couper le souffle. On est d’ailleurs plongés dans cette ambiance très bucolique dès son arrivée à l’opéra, puisque ses espaces publics ont subi une véritable métamorphose pensée par les étudiants du lycée horticole de Lomme (non loin de Lille).
Des petites touches de modernité viennent apporter des pointes d’humour qui soulignent avec intelligence l’écriture musicale de Mozart : la fausse jardinière porte des bottes en caoutchouc jaune alors que la femme de chambre arbore des Doc Martens rose fluo, on aperçoit des téléphones portables glissés dans des poches… Mais le plus grand succès de la mise en scène, c’est que David Lescot met le théâtre au service de la musique : les chanteurs peuvent donc jouer avec une grande simplicité alors qu’ils vocalisent.
Erin Morley incarne une adorable fausse jardinière, craquante entre deux mimiques facétieuses. A ses côtés, Enea Scala interprète un Comte Belfiore qui n’a pas peur du ridicule – et qui ressemble à s’y méprendre à l’acteur américain Bradley Cooper. Le reste de la troupe est délicieux d’espièglerie, et la bonne humeur qui règne sur le plateau se transmet à la salle comme un feu follet. Et cela s’entendait dans les applaudissements qui ont salué cette délicieuse fausse jardinière lors de la première.
Photos : © Frédéric Iovino