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« Château de Barbe-Bleue » / « Voix humaine » par Warlikowski : un diptyque avec et sans magie

« Château de Barbe-Bleue » / « Voix humaine » par Warlikowski : un diptyque avec et sans magie

02 December 2015 | PAR Christophe Candoni

Au Palais Garnier, Krzysztof Warlikowski met en scène un diptyque inédit et inégal composé du Château de Barbe-Bleue de Bartók et de La Voix humaine de Poulenc donnés à la suite et sans coupure, deux œuvres rares et sombres sur l’impossible amour entre un homme et une femme qu’il surcharge d’une somme écrasante de projections poético-mentales.

Entouré de sa fidèle équipe artistique (Malgorzata Szczesniak aux décors et costumes, Denis Guéguin aux vidéos), Warlikowski réalise un travail esthétiquement beau, magnifique même. Mais c’est tout. On n’en est ni touché ni ému. Les images proposées sont d’une étonnante et ennuyeuse littéralité. Chaque porte ouverte par Judith donne lieu à l’apparition d’une boîte aux parois transparentes derrières lesquelles sont installés une baignoire ensanglantée pour la salle des tortures, les lames tranchantes d’une batterie de couteaux de cuisine pour la salle d’armes, des bijoux et des diamants en guise de trésor, un champ d’œillets bauschiens pour le jardin, et enfin, un gros glaçon fondant qui figure le lac de larmes de la dernière pièce. Alors que tout n’est qu’allusions, métaphores dans l’opéra symboliste de Bartók, la matérialité sous laquelle l’œuvre plie dans cette succession d’illustrations plates et pesantes ne cultive aucun mystère, elle l’évacue. Cette privation de stimuler l’imaginaire se redouble de redondances warlikowskiennes telles la présence d’un enfant comme dans Parsifal ou l’assimilation de Judith à une icone hollywoodienne dont l’Emilia Marty de L’Affaire Makropoulos était déjà un double. Cela tend à rendre classique voire académique un art scénique pourtant toujours singulier et passionnant. Prisonnier d’un jeu mélodramatique presque convenu, le couple central de l’ouvrage, normalement incendiaire, fonctionne peu. John Relyea est un duc sans noirceur ni grande autorité mais empli de douceur dans la voix comme dans le jeu quelque peu effacé, tout l’inverse de Ekaterina Gubanova, une chanteuse au timbre chaud et coloré mais parfois couverte par l’orchestre volumineux et au jeu brute de décoffrage, manquant de sensualité.

Pour La Voix humaine, Warlikowski offre une lecture non moins épaisse mais plus personnelle qui s’éloigne du simple canevas de la séparation houleuse. L’homme à qui s’adresse les cinquante minutes de monologue écrit par Cocteau n’est pas au bout du téléphone mais hante l’esprit dérangé d’une femme amoureuse ayant commis un crime passionnel. En fond de scène, apparaît l’amant titubant. Tandis qu’il agonise, sa meurtrière chante d’une manière paroxystique et acrobatique sa douleur insondable. Pour l’incarner, Warlikowski retrouve une de ses muses, sa Lulu bruxelloise, toujours électrisante car à fleur de peau. Barbara Hannigan fait enfin ses débuts à l’Opéra de Paris dans un rôle dont elle possède certainement moins la voix que l’intensité dramatique. Silhouette fragile et perchée sur des talons vertigineux, sexy en diable même le Rimmel coulant sur ses joues pales, elle se dévoile filmée sous tous les angles d’une caméra surplombante qui met formidablement en valeur son côté caméléon.

A la baguette, Esa-Pekka Salonen ménage avec retenue et raffinement tout l’envoûtement subtil de Barbe-bleue, de l’entrée feutrée des cordes graves jusqu’à l’éclat opulent de tout l’orchestre somptueux. Pour autant, sa direction semble d’une langueur étale et parfois trop affectée d’une certaine froideur que l’on retrouve à l’excès dans un Poulenc minutieusement détaillé mais dénervé et qui faute de drame tombe à plat.

Il a beau ouvrir son spectacle par des numéros de magie exécutés par Barbe-Bleue faisant apparaître un lapin et une colombe et léviter une femme, le prestidigitateur de la scène lyrique qu’est Warlikowski semble cette fois manquer son tour. Passion dévorante, drame et mystère paraissent étouffés par un excès d’effets de monstration et d’hédonisme visuels et sonores qui estompent le caractère sulfureux et magique des œuvres.

“Le château de Barbe-Bleue”/”La voix humaine” © Bernd Uhlig / Opéra national de Paris

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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