
Aladin à St-Etienne : du pure génie?
Les 16 et 19 octobre derniers, l’Opéra de Saint-Etienne ouvrait sa saison par un spectacle tout public, y compris très jeune, en proposant Aladin et la lampe merveilleuse de Nino Rota sur le livret de Vinci Virginelli d’après Les Milles et une nuits. Cette nouvelle production stéphanoise a permis une véritable rajeunissement de son public lors de ses représentations. Un public qui s’est trouvé embarqué dans ce conte d’1h10 au pays de Fantaisie…
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Si la mise en scène de Julien Ostini est plutôt simple de prime abord, elle est surtout grandement ingénieuse. Le sol couvert d’un papier ou tissu dont la couleur renvoie au sable permet de créer des replis et des traces qui nous plongent sans aucune difficulté au fin fond du désert. Les cordes accrochées par endroit n’ont qu’à se tendre pour qu’apparaissent des dunes et faire apparaître l’antre dans lequel Aladin doit se jeter pour récupérer la lampe magique. D’autres bandes de tissu n’ont qu’à descendre du plafond pour faire naître des palais et le fait de les arracher l’un après l’autre pour en montrer la disparition ou destruction est alors extrêmement parlant. Les costumes de Bruno de Lanenère (également aux commandes des décors) sont absolument magnifiques, somptueux ou superbes et nous font à eux seuls voyager.
Si dans le programme on lit que Julien Ostini voit Aladin comme un “récit initiatique”, “un conte des Mille et Une Nuits sur les dangers de la conversion, de la pratique religieuse où la femme est le guide et le protecteur de l’homme” et si pour lui “le défi est donc d’aborder tous ces aspects philosophiques, religieux et sociétaux en laissant vivre avant tout une musique magnifique, puissante et évocatrice”, alors nous pensons que le défi n’est qu’en parti relevé car nous ne voyons dans cette oeuvre ou plutôt dans cette représentation aucune trace importante de religieux. Le caractère de guide et de protectrice de la femme est quant à lui esquissé mais relativement peu lisible dans la mise en scène. Toutefois, nous ne pensons pas que cela soit un mal et nous nous interrogeons même sur une lecture de l’oeuvre peut-être quelque peu trop influencée par les événements actuels lorsque nous lisons cette note d’intention. Certainement cela aurait-il été intéressant de le mettre davantage en pratique, mais Aladin était avant tout une opportunité de sortie en famille et le résultat que nous avons vu a permis de s’évader dans un univers féerique loin justement des problèmes actuels. Si la lecture de Julien Ostini est intelligente et pertinente, nous sommes heureux qu’il ait su trouver un équilibre permettant de laisser au premier plan le conte, l’histoire pour enfants ou la magie. Chacun est libre ensuite de vouloir aller plus loin dans ce qu’il voit ou bien de privilégier le divertissement pure. Un coup de génie pourrait-on dire!
Côté voix, est-ce tout aussi géni-al? Le ténor Marc Larcher tient le rôle-titre et son timbre est tout à fait agréable, peu de choses sont à redire mais on ne ressort malheureusement pas avec un souvenir marquant de sa prestation. Certes, cette dernière est bonne, de même que sa diction, mais peut-être la projection mériterait-elle d’être plus puissante pour éblouir véritablement? “Eblouissant” est d’ailleurs l’adjectif qui convient parfaitement à Geoffroy Buffière dans le rôle du magicien. Si le costume et le maquillage absolument époustouflants posent le personnage comme grand méchant de l’histoire dès son apparition, le jeu et la voix de cet interprète finissent de convaincre sur ce point. Tout est magistral ici, y compris la projection de voix qui dépasse parfois celle du ténor. Même constat dans les deux rôles féminins : si Roxane Chalard campe une princesse Badr’-Al-Budur convaincante mais ne laissant pas de souvenir frappant, Marie Gautrot donne un relief intéressant au rôle de la mère d’Aladin. Nika Guliashvili interprète pour sa part un sultan très amusant sans pour autant que la voix ou la technique n’en pâtisse, Nathanaël Tavernier fait un grand vizir satisfaisant mais Sévag Tachdjian fait un génie de la lampe relativement décevant côté voix (son jeu reste pour sa part très drôle et approprié dans cet opéra pour enfant), surtout face au superbe génie de l’anneau de Jean-Gabriel Saint-Martin que l’on regrette de ne pas entendre davantage dans cette oeuvre.
La musique arabisante et arabesque transporte quant à elle sans mal dans cet univers enchanté, surtout sous la direction de Laurent Touche qui guide l’Orchestre symphonique de St-Etienne Loire vers des contrées lointaines dans lesquelles nous le suivons avec plaisir.
©Cyrille Cauvet