Marionnette
“Teahouse”, spectacle de marionnettes poétique et désabusé sur la lente érosion de la culture traditionnelle chinoise

“Teahouse”, spectacle de marionnettes poétique et désabusé sur la lente érosion de la culture traditionnelle chinoise

23 November 2015 | PAR Mathieu Dochtermann

Avec Teahouse, Yeung Faï, l’un des derniers maîtres de la marionnette chinoise, livre un récit introspectif et pourtant universel sur les mutations du monde et leur prise sur l’art. C’est particulièrement de la Chine dont il est question, au travers des yeux de l’exilé qu’est Yeung Faï, mais les questions qu’il pose nous touchent tout autant. Un spectacle virtuose, profond, traversé par un humour noir cinglant.

Yeung Faï est issu d’une longue lignée de marionnettistes traditionnels, et a commencé à apprendre son art vers l’âge de quatre ans. D’une virtuosité et d’une dextérité sans rivales, il est l’un des derniers maîtres de sa discipline. Pourtant, loin de chercher à s’inscrire dans un traditionalisme qui lui assurerait une position confortable dans son pays, Yeung Faï a tenté le pari de la modernité, et se confronte en France depuis maintenant de longues années avec le théâtre et la scénographie occidentales. Teahouse, son dernier spectacle, s’inscrit parfaitement dans cette recherche.

Tout commence par une lente mise en place : le marionnettiste est à son atelier quand le public entre. Il peaufine la sculpture de la tête de l’une de ses marionnettes à gaine, se sert un bol de thé, attend. Puis le spectacle commence, dans le respect de la tradition des représentations données par ses aïeux dans les maisons de thé, qui constituaient des lieux de sociabilité où se mêlaient harmonieusement culture, affaires et détente. Yeung Faï commence d’abord par un vaudeville, enchaîne par une scène de combat de guerriers en costumes traditionnels somptueusement restitués. Les manipulations, d’une précision millimétrique, se font à vue sur un petit castelet, prodige d’ingéniosité, qui permet d’interchanger les décors escamotables en un clin d’oeil.

Mais bientôt, tout bascule. L’histoire s’emballe, une guerre tout ce qu’il y a de plus contemporaine éclate, le marionnettiste est pris dans la tourmente des événements en même temps qu’il continue de les raconter avec ses manipulations. On devine la révolution culturelle, on arrive à la Chine moderne toute de bruit et de néons criards, le castelet raffiné se transforme en karaoké clignotant, le marionnettiste devient fou, les marionnettes sont prostituées sur l’autel du commerce et de la mondialisation. A mesure que le récit se déploie et que la Grande Histoire s’invite dans la petite, la technique évolue, le manipulateur se fait acteur, le spectacle change de nature et s’adapte sans jamais rien perdre de son exigence de qualité ni de sa sensibilité.

C’est triste parfois, drôle souvent, poétique et politique tout aussi bien. C’est la réflexion d’un artiste dont l’art millénaire n’est plus reconnu dans le pays qui l’a vu grandir. C’est l’ode à la liberté artistique d’un maître de la tradition qui réclame de pouvoir faire évoluer sa pratique. C’est l’appel déchirant d’un chinois qui constate que sa patrie sombre dans une vacuité culturelle où les anciennes formes culturelles sont lentement détruites pour être remplacées par des loisirs faciles. C’est universel et touchant, parce que c’est l’angoisse de tous les amoureux de culture, partout dans le monde, face à l’uniformisation par le bas imposée par la mondialisation.

Les marionnettes sont absolument superbes, il est vivement conseillé de se mettre très près de la scène pour en apprécier tout le raffinement.

Un spectacle beau, sensible et poignant. Un court moment de magie, et de complicité avec l’artiste, qui se donne avec générosité. Une communion des cœurs, par la marionnette, et un message : nous ne sommes pas seuls à craindre du monde qui se fait.

Teahouse de Yeung Faï

Mise en scène : Grégoire Callies
Jeu : Yeung Faï
Scénographie : Jean-Baptiste Manessier

Visuel : © Maëva Tribouillard

Infos pratiques

Théâtre Petit Hebertot
Le Zèbre
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