
“Tree of Codes”, la réalité augmentée de Wayne McGregor est de retour à l’Opéra
Entrée au répertoire en 2017, Tree of Codes de Wayne McGregor, Olafur Eliasson et Jamie XX a littéralement retourné l’Opéra Bastille.
Tree of Codes est un livre écrit, ou plutôt découpé, par Jonathan Safran Foer. Il a évidé des bouts de phrases de The street of Crocodiles, un recueil de nouvelles écrit par Bruno Schulz, juif, assassiné par les nazis en 1942. Le livre de Foer est comme une oeuvre d’art à trous qui dit le vide que laisse la Shoah. Dans sa vision chorégraphique, le britannique fait exactement cela : une oeuvre à trous, comme un puzzle dément dont il manque des pièces.
Tout commence par un aveuglement avant que ne surgissent les fantômes. Les danseurs sont invisibles, seule reste leur trace. Leur silhouette est dessinée par des loupiotes qui empêchent toute perception réelle. On devine une pirouette ou un groupe qui se forme. Rien de plus. L’image est dingue, c’est celle de la mémoire d’un mouvement. Puis, d’autres apparitions se font au son de la techno élégante (enregistrée) de Jamie XX. Grâce à un algorithme, le musicien a transformé en lignes mélodiques électroniques la partition fragmentaire de l’œuvre de Foer.
Dans une traduction folle de l’idée du livre, la chorégraphie mêle les corps comme Foer mêle les mots. Pas de récit ici, encore moins de cohérence esthétique. Tree of Codes est une explosion libre sans distinction de hiérarchie. Au plateau, les danseurs de la Compagny Wayne McGregor, l’étoile Valentine Colasante, les Premiers Danseurs et le Corps de Ballet de l’Opéra national de Paris sont indifférenciables.
Dans un jeu de lumières et de miroirs, la scénographie de Olafur Eliasson permet de troubler le regard avec ces grands panneaux comme en plexiglas, totalement rétro qui semblent sortis des décors de la première saison de Star Trek.
Il y a ce solo puissant de François Alu qui devient mille. Le Premier Danseur survole souvent dans cette pièce avec son corps un peu différent et son crâne rasé. Sa force, sa vélocité et sa souplesse rendent tous ses passage éblouissants.
Le reste de la troupe n’est pas en reste. Valentine Colasante, Lucie Fenwic, Nine Seropian, Catarina Carvalho, Eileih Muir, Daniela Neugebauer Arthus Raveau, Sébastien Bertau, Luke Ahmet, Travis Clausen-Knight, Louis McMiller et James Pett s’emparent d’une partition techniquement ubuesque où le contemporain, la pop et le classique fusionnent. Par exemple, un jeté académique peut chasser un dos jazz avant un passage au sol, à genoux, totalement voguing. Dingue, c’est dingue.
Le mouvement général est un flow ici qui part de la colonne vertébrale pour irradier et décentrer tout le corps. Il est parfois monstrueux dans des portés à trois ou à quatre dont on ne peut plus deviner qui élève qui. Il y a des gestes posés, arrêtés qui sont des actes futuristes. Au sol, sur le ventre, les genoux enchevêtrés, une main qui bloque la cheville, les danseurs ont une allure d’animal extra-terrestre. La lumière parfois jaune impose cette idée d’un autre monde, un peu lunaire, un peu ailleurs.
Cette pièce prouve que parfois les mélanges font bon ménage. Ce n’est pas pour nous déplaire.
Jusqu’au 14 juillet. Opéra Bastille
Visuel : Agathe Poupeney / Opéra national de Paris