Danse
Nihon-buyô, la gracieuse Shimehiro Nishikawa investit l’auditorium du Musée Guimet

Nihon-buyô, la gracieuse Shimehiro Nishikawa investit l’auditorium du Musée Guimet

30 April 2014 | PAR Sandra Bernard

En cette fin de semaine, l’auditorium du Musée Guimet a accueilli deux représentations de danse kabuki interprétées par Shimehiro Nishikawa, accompagnée de trois des plus grands spécialistes de la musique du nihon-buyô : le chanteur/conteur Kazuhiko Nishigaki et les joueurs de shamisen (instrument de musique traditionnel composé d’une caisse de résonance et de trois cordes frappées) Tomohisa Takahashi et Satoshi Yamaguchi.

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Affiche+Nihon+Buyo

La représentation s’est déroulée en trois parties, deux séries de danses conçues autour de thèmes très connus tels : Fuji musume (la jeune fille à la glycine) et le mythe Kyôkanoko musume Dôjôji. Ces deux pièces abordent les sentiments liés à l’amour et à la passion, sentiments souvent déçus.

Fuji musume (Fille à la glycine, 1826) est né de l’idée qu’une fille avec une branche de glycine sur son épaule, peinte dans l’estampe appelée ‘ôtsu-e’, pouvait sortir de la peinture et danser. La scène du tissu décrit la jalousie chez la jeune fille ; ‘Bien qu’il ait juré devant les dieux qu’il n’irait pas voir d’autres femmes, il y est encore allé. Dans la nuit où j’attends, la neige tombe et fond… je me suis encore laissée prendre par de belles paroles… j’ai beau envoyer des lettres, aucune réponse ne me parvient..’ Ici, les paroles incluent habilement les noms des lieux « Omi-hakkei » (Huit vues d’Omi), inspirés de « Shojo-hakkei » (Huits vues de Shojo) en Chine, et qui sont des sites pittoresques, souvent peints dans la peinture et choisis dès 1500 :
Éclair d’orage à Awazu, (Awazu, à double sens, signifie « ne pas voir d’autres femmes »)
Cloche du soir à Mi.i,
Lune automnale sur Ishiyama, (‘ishi’ d’Ishiyama désigne une pierre qui symbolise la solidité du serment de son amoureux)
Pluie nocturne à Karasaki,
Neige au crépuscule a Hira,
Coucher de soleil sur Seta,
Oies sauvages descendant sur Katada, (Katada évoque des oies sauvages, qui font penser à « la lettre » qu’elle lui envoie, etc.)
Voiles revenant à Yabase.
La scène suivante avec un éventail illustre les petites îles où les iris des marais éclosent doucement. Le bateau traverse le torrent en chantant ‘je suis, grâce à toi, comme un bateau qui monte…’. Puis, succède une danse avec le chant ‘j’aimerais devenir le pin autour duquel s’enroule la glycine…’, et la jeune fille disparaît à la fin ‘sur le ciel qui se teint de la lumière du crépuscule, les oies sauvages volent en prolongeant les adieux...’.

Kyôganoko musume Dôjôji est inspiré par le mythe Dôjôji du 10e siècle : Une jeune fille, Kiyohime, avait pris au sérieux les paroles de son père qui, par plaisanterie, lui avait dit que le moine Anchin qui venait les voir chaque année lui était promis. Surpris par Kiyohime qui le presse de la prendre pour épouse, Anchin s’enfuit a la faveur de la nuit. Mais Kiyohime le poursuit de toute son ardeur et finit par prendre la forme du serpent diabolique de l’amour. Après avoir traverse la rivière Hidakagawa, elle se rend au temple Dôjôji, brûle la cloche ainsi qu’Anchin qui s’y était caché…         En 1359, la cloche devait être restaurée, et lors de son inauguration, une danseuse-prêtresse apparut et bouleversa la cérémonie. On dit qu’elle était un fantôme de Kiyôhime, qui se transforma en serpent et fit descendre la cloche de force. Cet incident a été adapté dans la pièce du théâtre nô Dôjôji (vers 1500). Cette pièce a donné ensuite la grande série du répertoire de la danse de kabuki à laquelle appartient Kyôganoko musume Dôjôji (1752), un des chefs d’oeuvre de la danse kabuki, interprété par un acteur Nakamura Tomijûrô (1721-1786).

La cloche est une métaphore d’Anchin dont Kiyohime était amoureuse. D’un autre côté, il est considéré dans le bouddhisme que le son de la cloche permet d’apaiser un égarement. Enfin, la cloche offre deux métaphores contradictoires : attachement et détachement.

La cloche résonne différemment selon le temps – le soir, l’aube, le matin, le crépuscule – en suscitant les phrases de sûtra: « tous les phénomènes sont impermanents et le vivant périt sans exception. Au-delà de la vie et de la mort, on atteint un Nirvâna, qui est un monde sans égarement ni souffrance ».

Une fille passe une nuit en admirant la lune qui symbolise l’« ainséité » (la vraie nature de la réalité à un moment donné). Les nuages, comparés à un égarement qui cache la lueur de lune, se dissipent… La scène suivante se teinte de kabuki ; on chante les quartiers de plaisir renommés de tous les coins du pays… Edo, Kyôto, Osaka, Nara, Fukuoka, Nagasaki.

Dans la scène du tissu, une femme se maquille pour son amoureux et pour lui montrer qu’elle n’est qu’à lui, et écrit avec l’encre de son sang une lettre de promesses du sentiment… Mais, malgré un échange de ces promesses, ils ne savent plus le sentiment de l’autre. L’homme vient la voir. Elle lui dit de ne pas être jaloux, parce que c’est lui qu’elle aime vraiment, mais sans le convaincre et cet homme s’en va…

 A la fin, en revenant au thème Dojoji, elle dévoile à nouveau son attachement à la cloche, en tournant autour de celle-ci comme un serpent…

La danse kabuki est un art remontant au tout début de l’ère d’Edo. Il s’agit de danses très expressives et codifiées, tout en nuances, qui se sont développées en parallèle au théâtre kabuki (exclusivement masculin). Shimehiro Nishikawa, a commencé l’apprentissage de cette discipline dès l’âge de 7 ans. Interprète reconnue depuis les années 1980, elle n’a depuis, de cesse de transmettre son art sur les scènes du monde entier. Shimehiro Nishikawa, arborait de magnifiques kimonos aux motifs végétaux chatoyants.

Entre les deux tableaux, les musiciens et le chanteur ont fait montre de leur talent en interprétant des compositions énergiques.

La seule petite ombre au tableau est à mettre au crédit de la salle où le public devrait éviter de s’invectiver lors des entractes. C’est non seulement gênant mais cela donne une mauvaise image auprès des artistes. Il y a des manières discrètes et courtoises de se dire les choses.

Toutefois, le spectacle s’est avéré tout à fait ravissant et l’on était littéralement hypnotisé par les mouvements gracieux et expressifs de l’interprète. Le spectacle a été d’autant plus apprécié que les représentations de danses kabuki sont très (trop) rares en France.

Informations pratiques :

Nihon-buyô, Auditorium Guimet, Musée national des arts asiatiques, 6 place d’Iéna 75116 Paris, Tél : 01 40 73 88 18, Fax : 01 47 20 46 88

Visuel : affiche du spectacle

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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