
La folie des grandeurs de Mourad Merzouki
Dans sa dernière folie, le directeur du CCN de Créteil et du Val-de-Marne, Mourad Merzouki, fait un éloge vibrant au métissage.
A partir du Xème siècle, apparaissent en Italie deux types d’araignées particulièrement dangereuses : la tarentule et la Veuve noire. A cette époque, nul centre anti-poison ni antibiotique, mais déjà l’art-thérapie ! En effet, dans le Sud de l’Italie, plusieurs cas d’empoisonnement par ces araignées ont été soignés par la musique et la danse. Le malade ou Tarantato était stimulé au rythme de tambours et à la lumière de danses déchaînées : les « tarentelles ». On comprend, dès lors, que Mourad Merzouki se soit tourné du côté de ce patrimoine pour accompagner sa nouvelle création, Folia.
Le chorégraphe n’en est pas à son premier coup de folie. Déjà dans Récital (1998) puis dans Boxe-Boxe (2010), il avait démontré tout son talent à faire dialoguer hip-hop et musique classique. Folia monte d’un cran dans cette savante fusion des territoires puisque se joignent à la discussion danses classique et contemporaine, derviche tourneur et chanteuse lyrique, univers circassien et musical : un foisonnement à en perdre la tête qui entre, lui aussi, en résonance avec le titre de la pièce.
Car Folia ne parle pas tant de la folie individuelle et collective des hommes, que de celle du monde qui, à l’image des espèces de citrouille qui déboulent sur le plateau, ne tourne pas toujours rond ou se retrouve sans dessus dessous passant de mains en mains. A moins, que ce ne soit la folie douce de l’univers onirique dans lequel nous plongent les mille et une histoires contées par Merzouki ? Ou, peut-être mieux, la folie des grandeurs d’un spectacle grand public fait pour en mettre plein les yeux ?
Le contraste est alors saisissant entre le grain de folie de Merzouki et l’allégresse toute mesurée de son complice de toujours, Kader Attou. Ces deux propositions – présentées à Paris à quelques jours d’intervalle, offrent deux visions chorégraphiques complémentaires. Elles ont en partage un même horizon : une folle envie de danser terriblement poétique.
Tandis que Kader Attou s’en ira chercher la poésie tantôt dans le corps des danseurs, tantôt dans le burlesque des situations, Mourad Merzouki la cueillera tantôt dans les cascades de notes, tantôt dans l’énergie du collectif. Les tableaux se succèdent et fascinent tant l’harmonie sur le plateau entre danseurs et musiciens est grande. Moins convaincante est la manière dont Merzouki tente d’inclure les pointes classiques dans la fièvre collective.
Ce qui ne nous empêche pas, néanmoins, d’éprouver un semblant de mélancolie, au souvenir de cette époque où les tarentelles désignaient de folles fêtes populaires.
Jusqu’au 31 décembre
Visuel : @ Julie Cherki