
« Hérétiques » et « Ode to the Attempt » : de la fatigue au repos
Le Théâtre de la Ville — Les Abbesses propose jusqu’au 9 juin un diptyque chorégraphique mettant en regard deux créations radicalement opposées. D’un côté, Hérétiques d’Ayelen Parolin : performance âpre, uniforme et épuisante ; de l’autre, Ode to the Attempt de Jan Martens : spectacle humble, léger, drôle et poétique.
Hérétiques d’Ayelen Parolin : invocation de l’ennui
Il s’agit là d’une méchante performance. Chorégraphie statique, où les danseurs ne bougent que la partie supérieure de leur corps. Chorégraphie algorithmique, où l’enchaînement de gestes sémaphoriques à une vitesse de plus en plus frénétique donne le vertige et épuise. Chorégraphie ésotérique qui, avec le plateau obscur et la musique déstructurée de Lea Petra, donne l’impression que quelque chose de grave et de complexe est en train d’avoir lieu sur scène.
On comprend que l’épuisante mécanique dansée du duo de performeurs n’a de sens que parce qu’elle est paradoxale. Les gestes, appliqués sérieusement et avec une grande rigueur, évoquent un travail manuel purement utile ; pour autant, ces manipulations du vide ne produisent absolument rien de concret. Utilitarisme épuisant, intense brassage de vide, angoissant crescendo sonore et gestuel : on a là tous les symboles nécessaires à la dénonciation de la condition moderne, de l’aliénation et de la désorientation qui en résultent.
On peut pour autant mettre en question la dimension politique d’une telle chorégraphie qui dénonce âprement, mais ne fait finalement que cela. N’y a-t-il pas moyen, par l’art, de se libérer de cette effrayante litanie ? On assiste, certes, à un temps mort intéressant au mitan du spectacle, au cours duquel les deux chorégraphes entament une série de gestes hésitants, comme pour apprendre à désapprendre la cruelle mécanique qui les tue à petit feu. Mais rapidement, celle-ci reprend son cours, et l’espoir d’une libération se volatilise. La violence et la radicalité de Hérétiques fatiguent.
Ode to the Attempt de Jan Martens : variations sur l’humilité
Créé et interprété par Jan Martens lui-même, Ode to the Attempt est radicalement différente de la lourde performance qui la précède. Ici, pas d’hermétisme ni d’ésotérisme : on annonce d’emblée au public les treize moments qui vont ponctuer le spectacle. Pas de rigueur mathématique non plus : le chorégraphe ne propose humblement que des « tentatives » plus ou moins loufoques (tentative d’envoyer un message caché à mon ex, tentative de rendre hommage aux morts vivants, tentative d’être minimaliste, tentative d’être provocateur…) dont il reviendra au spectateur de juger l’efficacité. Pas de gravité enfin : l’ambiance est légère, les musiques sont variées et populaires, l’attitude de Martens est ouverte et chaleureuse. L’ambiance est encline au rire autant qu’à la beauté et la poésie.
Martens part du principe que la légèreté, la gentillesse, l’irrévérence et l’humilité ont, ensemble, le pouvoir d’ouvrir le spectateur à l’art. Et c’est le cas : les 13 tentatives de Jan Martens sont un succès, même lorsqu’elles semblent avoir échoué. Car le doute, lorsqu’il est assumé, redonne une image humaine à l’artiste — ce démiurge. Et le spectateur, non content de voir un de ses semblables sur scène, s’ouvre à lui avec tolérance. Alors, le plaisir et la joie peuvent naître, et le sentiment poétique peut émerger.