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[Festival d’Automne] Descente aux Enfers quotidienne : « John » de Lloyd Newson

[Festival d’Automne] Descente aux Enfers quotidienne : « John » de Lloyd Newson

12 December 2015 | PAR Marianne Fougere

Violence, backroom, overdose : Lloyd Newson et la compagnie DV8 Physical Theatre reviennent avec une création coup de poing. Ou comment nouer corps et mots en un langage politique pour décrire la réalité sociale.

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Depuis plus de trente ans, le travail de Lloyd Newson se distingue de par sa radicale singularité. Porté par un engagement politique sans concession, Newson a au fil du temps et au gré des créations inventé et mis en mouvement un nouveau langage théâtral, une langue véritablement physique. A l’instar de ses dernières pièces Can We Talk About This ? et To Be Straight with You, qui exploraient respectivement l’islam militant et l’homophobie religieuse, John est une œuvre verbatim, fruit d’un hypnotique montage de témoignages réels et de traduction chorégraphique. Cependant, si elle s’inscrit dans cette lignée artistique, John la déborde tout autant, frôlant un degré de violence et de provocation rarement atteint par Newson jusqu’à présent et détournant le créateur de son projet initial.

La pièce, en effet, n’aurait jamais du s’intituler ainsi, si Newson n’avait pas rencontré le John en question. Newson aspirait, sans se départir, on l’imagine, de son regard critique, à plus de « douceur » et souhaitait se pencher sur le parcours d’hommes en quête d’amour, de sexe et de rédemption. Mais John, cet homme cabossé de la classe moyenne, est venu tout chambouler, obligeant Newson à recentrer sa pièce sur lui. Sous nos yeux, donc, c’est la vie de John qui défile : d’une enfance marquée par la brutalité paternelle et la déchéance maternelle, aux séjours en foyer puis en prison, en passant par la drogue et les petits larcins, ce destin pour le moins chaotique a de quoi donner le tournis au spectateur. Un sentiment de vertige renforcé par le décor qui emprunte son mouvement au carrousel.

Le résultat est troublant, mais réussi, chacun des spectateurs restant libre de choisir où et quand porter son attention, de se laisser guider soit par le discours (sous-titré en français) décrivant un quotidien tragiquement banal soit par le mouvement des corps des danseurs, ou d’être enivré par les deux en même temps. La nonchalance d’Hannes Langolf, qui donne, de manière remarquable, chair et vie à John, résonne pleinement avec le souhait de Newson d’éviter tout sentimentalisme ou pathos inutile. Jamais John ne s’apitoie sur son sort ; certes victime d’un système social sans dessus dessous, il endosse pleinement sa part de responsabilité et Langolf livre de lui un portrait tout en nuance et saisissant lorsqu’il rend compte par exemple, les jambes comme en caoutchouc et dangereusement oblique, de l’addiction de son personnage.

La noirceur et la froideur du propos de John sortent de sa zone de confort un public d’ordinaire plus à l’aise avec les discours s’en prenant, un peu facilement il est vrai, à la Société au sens large du terme. Mais l’humour n’en est pas pour autant absent, rejaillissant plus nettement dans la seconde partie de la pièce lorsque Newson renoue avec son idée initiale en transportant le public dans les recoins troubles d’un sauna gay. Si l’on peut regretter qu’un personnage aussi fascinant que John soit mis temporairement au second plan ou le ton plus politiquement correct d’une défense du safe sex, on comprend rapidement que les deux actes de la pièce sont moins déconnectés qu’inextricablement liés, le sauna gay procurant à John un havre de paix certes précaire mais terriblement réconfortant. Le génie de Lloyd Newson ? : transformer un acte militant en ode à l’amour, un parcours du combattant en récit initiatique.

John, DV8 Physical Theatre, Grande Halle de la Villette, du 9 au 19 décembre (lundi au samedi 20h, jeudi 19h30, relâche dimanche), de 22 à 32 euros

Visuel : ©Lloyd Newson

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