Danse
“Elena’s Aria” d’Anne Teresa de Keersmaeker : un trouble obsessionnel compulsif

“Elena’s Aria” d’Anne Teresa de Keersmaeker : un trouble obsessionnel compulsif

16 May 2013 | PAR Géraldine Bretault

Elena's Aria1 (c)Herman Sorgeloos 13 - CopieHabituée du Théâtre de la Ville, la chorégraphe flamande revient cette année avec deux reprises, Elena’s Aria (1984) et Drumming (1998), qui seront présentées dans quelques jours. L’occasion d’une intense réactivation.

Quand le mur-rideau se lève après la lecture d’un premier texte par une des cinq interprètes, la présence de nombreuses chaises sur scène et la silhouette des cinq danseuses en robe moulante et talons hauts évoquent furtivement les cabarets de Pina Bausch. Un souvenir vite dissipé, les racines du mouvement chez Anne Teresa de Keersmaker étant à rechercher du côté de l’architecture et du contrepoint musical plutôt que dans le théâtre.

Une rangée de chaises alignées en fond de scène, donc, et d’autres tournées vers elles, dos au spectacteur. Par un lent travail d’élaboration du vocabulaire gestuel sur scène, usant des principes de la variation sur thème et du canon, les cinq danseuses semblent lutter pour leur propre survie, dans un univers angoissant situé à la lisière entre l’enfance et la folie, entre le jeu de la chaise musicale et la répétition compulsive liée à la démence.

Cinq femmes qui sont peut-être cinq incarnations concomitantes de la chorégraphe ou encore toutes les femmes en une, soumises génération après génération aux mêmes injonctions sociales qui pèsent sur leur corps : savoir porter une robe, user de leur séduction en la remontant sur leurs cuisses, savoir marcher avec des talons, croiser les jambes, minauder. Essayer des gestes, empiéter sur l’espace de l’autre, s’éreinter et toujours recommencer. Les talons claquent, les croupes ondulent dans l’air, les visages se creusent à mesure que la représentation progresse, en silence ou sous des airs d’opéra.

Un principe d’éreintement des corps par la société d’autant plus prégnant que des signes de fatigue se font sentir vers la fin du programme, notamment chez la chorégraphe. La force de son écriture se condense en quelques gestes, à la fois fragiles et puissants, exprimant le désarroi des corps individuels sapés par le corps social. La vidéo présentant une successions d’explosions, destructions de tours ou de ponts, ou encore la voix de Che Guevara qui interviennent vers la fin de la pièce semblent presque superflus pour traduire cet état d’effondrement moral.

En guise d’épilogue, les interprètes empoignent une chaise et viennent s’asseoir en avant-scène, avant que le mur-rideau ne se referme derrière elles. Au son des notes simples et aériennes d’une sonate de Mozart, elles affrontent cette fois le public de face, et disent à l’unisson la lassitude, le désespoir indicible, d’une main qui retombe mollement le long de la chaise, d’un front qui pèse soudain trop lourd. Nulle échappatoire, nulle rédemption à espérer, hormis la réhabilitation de cette pièce, fraîchement accueillie par la critique en son temps.

Visuel : (c) Elena’s Aria, 1984, Anne Teresa de Keersmaeker © Herman Sorgeloos

Infos pratiques

Centre Pierre Cardinal (festival Les Musicales)
Le Théâtre de l’Athénée
Marie Boëda

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