
Vortex Temporum : une spirale sans fin par De Keersmaeker, bientôt à l’Opéra de Lille
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Pour la première belge de sa nouvelle création, Vortex Temporum, Anne Teresa de Keersmaeker a choisi La Monnaie de Bruxelles. La première française du spectacle aura lieu en décembre à l’Opéra de Lille, avant de rejoindre la scène parisienne du Théâtre de la Ville (fin avril 2014). Avant que la dernière œuvre en date de la chorégraphe ne franchisse la frontière belge pour venir en France, nous sommes allés à Bruxelles pour découvrir cette création.
Sur une partition de Gérard Grisey composée en 1996, De Keersmaeker a choisi de faire intervenir les musiciens de l’ensemble Ictus, menés par Jean-Luc Plouvier au piano, sur le plateau, plutôt que dans la fosse. Ce sont d’ailleurs eux qui composent le premier tableau de la pièce, seuls sur scène, comme pour montrer que la musique est l’un des personnages principaux de Vortex Temporum, au même titre que la danse. Un piano, une flûte, une clarinette, ainsi qu’un violon, un alto et un violoncelle permettent au public de découvrir la musique de Grisey, entêtante, rythmée, et dont la mélopée s’imprime dans l’esprit comme une lumière vive s’imprimerait sur la rétine.
Une fois ce premier mouvement achevé, les musiciens disparaissent en coulisse, et sont remplacés par sept danseurs vêtus de noir. Imitant les formes dessinées à la craie sur le plateau, ils épousent un motif de spirale presque incantatoire, alors que c’est le bruit de leur respiration et de leurs pieds sur le sol qui les accompagnent : souffle et corps, les motifs séminaux qui parcourent l’œuvre d’Anne Teresa de Keersmaeker sont bien présents. Et si la grammaire du mouvement semble d’abord facile à déchiffrer (ils marchent, ils courent, ils tournent sur eux-mêmes, ils se laissent tomber avant de se redresser pour repartir de plus belle), on se rend vite compte qu’ils suivent chacun un schéma bien particulier et qui complexifie intensément la lecture de la chorégraphie millimétrée de De Keersmaeker.
Les musiciens d’Ictus rejoignent les danseurs au cours de ce deuxième mouvement : le public prend alors conscience que les corps des danseurs incarnent la musique de Grisey plus qu’ils ne dansent dessus. Le motif de la spirale devient si entêtant que l’on se sent happé par le plateau, comme hypnotisé. La lumière tombe peu à peu, le son de la musique diminue lentement, à tel point que l’on n’est pas sûr de s’être rendu compte que tout s’était arrêté – et que Vortex Temporum venait de s’achever, modifiant au passage l’ensemble de nos perceptions sensorielles. Une pièce exigeante, plus ramassée et plus intense encore que les dernières créations de De Keersmaeker, peut-être un peu ardue à appréhender, mais dont l’importance et la force sont indéniables.
Photos : © Anne Van Aerschot et Herman Sorgeloos