(Biennale de la danse) Cristiana Morganti, Jessica and me
La Pina Bausch’s girl, Cristiana Morganti, emballe la 17ème Biennale de la danse de Lyon dans son chassé-croisé entre action et vérité, entre rires et larmes. Une première française.
JESSICA AND ME (CRISTIANA MORGANTI) from ANDRICA on Vimeo.
Destination Pina. Wuppertal Hauptbahnof sera donc la destination finale de Cristiana. Le quai de la gare plutôt que le théâtre où vingt ans durant, elle a sculpté son rôle au sein de la troupe du Tanztheater et pour laquelle elle se produit toujours aujourd’hui. Parce qu’il faut faire le deuil de tout : de Pina, de sa façon de fumer, de sa propre condition physique, sa difficulté à ne pas se refroidir, en tout cas, de garder la tête froide. Ne pas se répéter, rester drôle et tragique, tenir son rang et, surtout, ne pas disparaître avant d’avoir raconté dans le détail ce que ça veut dire de danser plutôt que de parler et vice-versa, de parler plutôt que de danser, de devenir véritablement une comédienne c’est-à-dire soi-même, à la fois celle qui veut bien admettre que le public vient combler un petit vide affectif et celle qui peut refaire une même scène en plusieurs langues et rires et pleurer sur commande.
Mouvement perpétuel. Et puisqu’il s’agit d’une danseuse qui commence par s’autocritiquer à la manière de ces « conférences gesticulées », la pièce mêle l’autobiographie, l’analyse, et la théorie, et mélange ce que la danseuse à vécu, a compris et a appris. Et pour commencer qu’elle ne peut plus s’arrêter de danser, une fois qu’elle a commencé, parce que littéralement, ça fait trop mal physiquement. Parce que, depuis toujours, depuis le début, dans les ballets classiques on disait d’elle, on disait à sa mère, qu’elle « n’était pas si mal » et que ce serait dommage de ne pas continuer.
Magnéto Cristiana. Qu’est-ce qu’on peut faire de ça, lorsqu’on est seule sur scène et qu’il faut inventer une Jessica au téléphone, journaliste venue de l’au-delà, d’un film italien peut-être, qui pose les questions à l’intérieur desquelles le spectacle entier va s’inscrire ; faire rire pour venger la Pina des débuts, détestée par le public, faire entendre la voix de l’interprète jusqu’au mot de trop qui brisera la magie de l’équilibre entre les mots et les choses que Cristiana tente de ramasser dans la danse à la façon de cette « femme éponge » qui a donné le titre au spectacle, lorsque celui-ci était encore en préparation.
Suite de sketchs. De façon très structurée –quarante cinq minutes durant (un peu moins lors de la dernière demi-heure), la danseuse redouble de délicatesse et d’à-propos pour déployer ce qui ressemble à une bouleversante tragicomédie où la performance consiste à replacer la danse au centre d’un univers qui réconcilie la femme avec sa vraie vie, si bien qu’on finit par être suffisamment formé au « langage Morganti » pour aborder n’importe quelle proposition : du plus académique au plus intimement personnel, transportés que nous sommes par le désir lyrique de la danseuse dont la robe de ballet classique finit par flamber et faire flamber une petite créature filmée sur elle, qui s’échine à danser sur cette robe devenue écran dans un ultime feu de l’action .
Visuel : © Virginie Khan
Antoine Couder