Cirque
[CDLR] La corde poétique de “Petra” donne des ailes au terrain Vannier

[CDLR] La corde poétique de “Petra” donne des ailes au terrain Vannier

21 July 2018 | PAR Mathieu Dochtermann

Accueilli par le collectif La Clenche sur le terrain Vannier à Chalon Dans La Rue, Petra de la Cie La Folle Allure (Gaëlle Estève et Eloïse Alibi) est une très jolie découverte. Alliance d’une chanteuse d’exception et d’une circassienne de talent, c’est un spectacle qui étire le temps, qui joue avec les perceptions, qui déjoue les attentes et installe, tranquillement, sa poésie, dans un genre qui lui est propre. A découvrir pastille 72 tous les jours à 20h.

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Le dispositif en lui-même est intriguant: un long tapis de sol fait un couloir sous un trépied où est accrochée une corde lisse, quelques blocs de pierre sont disposés sur le côté, non loin d’un synthétiseur et de pieds de micro qui laissent espérer que la musique soit jouée en direct. Au milieu du terrain Vannier à Chalon, deux gradins en bifrontal encadrent cette installation.

Quand Gaëlle Estève arrive en jeu, c’est en traversant le public, en charriant un à un de lourds pavés taillés à même la roche. L’effort est réel, le propos n’est pas de faire semblant : cette lutte qui s’instaure d’emblée contre ce poids est fondateur de la dramaturgie de ce spectacle très écrit, qui utilise brillamment les symboles visuels et les contraintes pour les transcender. C’est une Sisyphe moderne qui s’offre ici à nous conter son histoire.

Un tas de pierres s’amoncelle, l’une d’entre elles vient s’arrimer au bout de la corde lisse, laissée ballante à quelques centimètres du sol. C’est l’occasion de jouer avec, de laisser éclater quelques élans de pure énergie en dansant autour. L’artiste jour contre le poids et avec le contre-poids, se suspend, imprime un mouvement pendulaire à sa corde, ne monte pas faire de figures en hauteur, reste au contraire au sol pour évoluer avec grâce autour de la pierre qui prolonge désormais son agrès. Elle est forte et fragile, elle lutte avec détermination mais elle est en butte à des éléments plus puissants qu’elle.

Pendant ce temps, Eloïse Alibi déploie avec talent son univers vocal : presque sans accompagnement à part  quelques percussions, faites notamment avec des pierres, elle pose ses compositions, tantôt aériennes et tantôt déchirantes, en construisant ses boucles en direct. Sa voix est forte et pure, son chant puissant, elle chaloupe et elle prend aux tripes, elle charme et elle fait frissonner. Parfois, le chant s’arrête pour passer à la déclamation. Poèmes joliment scandés, des mots forts pour tisser la métaphore de ce qui se joue.

Gaëlle Estève finit par monter le long de sa corde, faire quelques figures, mais toujours elle redescend vers le sol, vers ces pierres qu’elle a laissées, qu’elle ne cesse de transporter et de disposer dans de nouveaux entassements, construisant des tours, construisant des murs, jalonnant son chemin, progressant le long du tapis. Les pierres, qui font d’abord bloc de leur présence, s’érigent parfois en de précaires constructions qui changent leur nature, induisant une fragilité qui autorise un autre jeu avec elles.

C’est un spectacle intelligent, une très belle métaphore du chemin et de la transformation, de la lutte et de la libération. Le fait que la circassienne soit au moins autant danseuse qu’aérienne, qu’elle ne se situe jamais à l’endroit où on l’attend, est rafraîchissant autant que bien pensé. Par ailleurs, ses évolutions sont très agréables à suivre, aussi gracieuses que fluides. Gaëlle Estève se suspend presque plus qu’elle n’évolue, explorant la figure statique plutôt que les prouesses dynamiques, un peu à la manière d’une Chloé Moglia dans le IN.

Eloïse Alibi a écrit de magnifiques compositions pour accompagner le spectacle, et ses prouesses vocales offrent un contrepoint parfait aux évolutions de Gaëlle Estève. C’est un duo artistique qui fonctionne magnifiquement, deux artistes complémentaires en dialogue et en complicité, chacune dotée d’une grande présence. Elles se laissent le temps de poser leur spectacle et leur univers, avec une esthétique qui leur est très personnelle.

S’il faut se forcer à chercher ce qui laisse un peu sur sa faim, le spectacle s’étire peut-être un peu en longueur. En effet, s’il est très beau et offre des moments intenses, il est souvent contemplatif, et son énergie se disperse quelque peu en plein air, où les distractions sont légion. On imagine qu’il captiverait encore plus en salle. Peut-être l’enjeu se perd-t-il un tout petit peu à certains moments. Mais toujours une figure bien exécutée ou un nouveau chant viennent rattraper l’attention qui s’était égarée : ce n’est donc pas un obstacle au plaisir du spectateur.

Un travail à découvrir, une belle traversée en compagnie de deux très belles artistes.

De et par : Gaëlle Estève et Eloïse Alibi
Collaborations artistiques: Jean-­?Yves Pénafiel / Sky de Sela / Anna Rodriguez
Musique Originale de : Eloïse Alibi
Arrangement musical : Laurent Attali
Sonorisation : Grégory Adoir
Costumes: Anaïs Forasetto

Scénographie : Guillaume Balès
Diffusion: L’Envoleur

Visuels: Mathieu Dochtermann

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